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A la recherche du temps perdu - ... tome 5 sur 7

Pierre-Edmond Robert (Éditeur scientifique)
EAN : 9782070381777
465 pages
Gallimard (10/11/1989)
  Existe en édition audio
4.33/5   547 notes
Résumé :
La Prisonnière : Le narrateur est de retour à Paris, dans la maison de ses parents, absents pour le moment. Il y vit avec Albertine, et Françoise, la bonne. Les deux amants ont chacun leur chambre et leur salle de bains. Le narrateur fait tout pour contrôler la vie d’Albertine, afin d’éviter qu’elle donne des rendez-vous à des femmes. Il la maintient pour ainsi dire prisonnière chez lui, et lorsqu’elle sort, il s’arrange pour qu’Andrée, une amie commune aux deux amo... >Voir plus
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sur 547 notes

On connaît bien certaines vicissitudes traversées par ce monument littéraire unique dans son genre – son achèvement irrésolu, sa réécriture incessante, jusqu'au dernier soupir de son auteur, la quantité de notes éparses, plus ou moins (in)exploitables que ce dernier laissait derrière lui, certaines intégrées au fur et à mesure de ses rééditions, d'autres pas, ou diversement selon ses éditeurs, les révisions et corrections qu'il ne put mener à terme, les contresens restés en l'état, parfois sous forme de phrases hermétiques, sans objet ou sans lien apparent à un motif précédent, ou d'incohérences dans l'intrigue d'un épisode à l'autre, dans la chronologie de certains faits historiques évoqués, voire dans l'entrée ou sortie définitive de scène de quelques-uns de ses personnages – impairs, cependant, qui finiraient non seulement par contribuer à la mythologie
créée autour de l'oeuvre et retentir sur sa plurivocité, mais aussi par en répercuter et illustrer son thème central, le labile et incertain travail de reconstitution de la mémoire. Une oeuvre, donc, dont la genèse même et la logique présidant à sa construction sont en miroir avec son motif principal, à savoir, l'émergence mouvante, involontaire, parfois aléatoire de nos réminiscences, l'interminable «relecture» de notre passé qui en découle, conduite par une mémoire défectible et indissociable de nos affects variables, de nos sensations fugitives, de notre imagination fluctuante. Une oeuvre à l'architecture incomparable, fascinante, dont la radicalité ne peut que subjuguer ou rebuter, et que certains de ses plus fidèles admirateurs (parmi lesquels je me situerais volontiers), quitte à passer pour des «snobs» de premier ordre aux yeux d'autres lecteurs, ses non moins honorables détracteurs, n'hésiteront pas à considérer comme l'un des plus grands chefs-d'oeuvre, sinon le plus grand de tous ceux ayant vu le jour au cours du XXe siècle.

Ce cinquième volume de «La Recherche», quintessence absolue du roman psychologique moderne, analyse magistrale du flux subjectif produit par le pathos amoureux, en est emblématique. Il fut légué par un Proust à bout de forces, dictant, pratiquement jusqu'à la veille de sa mort, additions et corrections au texte de celui des trois derniers tomes de «La Recherche» publiés à titre posthume auquel, confiait-il à son éditeur peu de temps avant de mourir, il s'était «acharné au détriment des deux autres».

La Prisonnière soumet à l'appréciation du lecteur une exploration anatomique minutieuse -«sous le microscope de la réalité»- (Vladimir Nabokov, je vous demande de sortir d'une fois pour toutes de mes billets!!) d'une jalousie amoureuse à un stade tumoral très avancé, en même temps qu'un précis détaillé de stratégie martiale sur la carte du tendre, lorsque la possession intégrale de la cible amoureuse s'étant avérée impossible, les combattants se voient obligés de se rabattre sur des tactiques stériles d'assaut et de repli, ou dans le meilleur des cas, à pratiquer une politique diplomatique de la «paix armée»…

Amour domination, amour abdication, amour dévotion, amour prison…Pour le Narrateur, l'amour, synonyme de possession physique et morale de son objet, serait fatalement -ainsi que le chantait notre inoubliable «Gainsbarde»- «sans issue».

«Instants doux, gais, innocents en apparence et où s'accumule pourtant la possibilité du désastre ; ce qui fait de la vie amoureuse la plus contrastée de toutes, celle où la pluie imprévisible de soufre et de poix tombe après les moments les plus riants, et où ensuite, sans avoir le courage de tirer la leçon du malheur, nous rebâtissons immédiatement sur les flancs du cratère d'où ne pourra sortir que la catastrophe.»

Sans issue également, dans le décor de l'appartement familial parisien, providentiellement vacant à ce moment-là, le huis-clos dans lequel sa jalousie l'aura séquestré en même temps qu'Albertine, tous les deux bientôt prisonniers d'une dialectique du maître et de l'esclave qui leur permettra de jouer, l'un vis-à-vis de l'autre, et sans doute par moments de «jouir» aussi, tour à tour, du rôle de geôlier ou de captif.
Suite amoureuse composée de mouvements dissonants, alternés, contradictoires, faite de battements arythmiques d'une anxiété douloureuse éveillée par les ruminations du Narrateur, lorsqu'Albertine lui semblait vouloir songer à sa libération prochaine, ou tout au moins à se soustraire momentanément à sa surveillance pour s'adonner à des plaisirs coupables dont il était exclu, se succédant à d'autres cadences plus douces, intermèdes bienheureux où une certaine harmonie semblait envisageable entre eux, mais au cours desquels, ayant été rapprivoisée et redevenue docile, Albertine se ferait au fur et à mesure moins désirer, et délaisser par son amant, paraissant bientôt aux yeux de ce dernier vouloir de nouveau concocter en sourdine les premiers accords d'une nouvelle fugue…

Recherche d'un bonheur impossible, appuyée sur une mécanique endiablée, paradoxale, qui tout en cherchant à posséder l'autre, «ne subsiste que si une partie reste à conquérir». Désir d'un désir absolu, fidèle, inconditionnel, mais qui se nourrirait pourtant davantage des dérobades d'un lièvre qui ne se laisserait pas complètement courir, que d'une proie prête à se laisser dévorer… Désir glissant, se défilant, s'ajournant et se déplaçant de ce qui a été acquis vers l'inconnu, vers ce qu'on ne possède pas encore, ou vers quelque chose d'autre -tout court-, vers par exemple «de belles femmes de chambre », un voyage tout seul à Venise ou cette tranquillité d'esprit nécessaire, chez soi, pour se mettre enfin au travail...Cercle vicieux, enfin, risquant de condamner les amants, à perpétuité, à un jeu de dupes, sans issue encore une fois, ronde infernale et quotidienne faite d'escamotages, petits mensonges, non-dits et faux-semblants.

C'est ainsi, par exemple, qu'invitée par les Verdurin à une réception à laquelle, tel que le Narrateur l'apprendrait entretemps par hasard, son ancienne amie gomorrhéenne Mlle Vinteuil devait aussi se présenter, Albertine, d'après lui, rusait en lui disant qu'elle n'avait aucune envie d'y aller, ainsi que lui-même, lorsque de son côté, terrifié à l'idée qu'Albertine soit en train de céder à des tentations saphiques qu'elle lui cache, il trouverait le jour venu tous les prétextes imaginables pour qu'elle reste auprès de lui, mais, une fois endormie, n'hésiterait pas à s'y rendre lui-même afin de pouvoir enquêter sur place sur son passé à elle et confirmer éventuellement ses soupçons à lui!

La Prisonnière fut l'un des épisodes de «La Recherche» que j'ai le mieux appréciés cette fois - sinon mon préféré, du moins jusqu'ici...
À cette temporalité particulière, «labyrinthique », à laquelle le Narrateur répondait depuis le début de ses réminiscences, depuis Combray, à l'observation détaillée de l'infiniment petit dans son monde intérieur et à la dissection de ce qui constitue le noyau dur de sa subjectivité - plus que jamais présentes dans ce volume et portées ici, à mon avis, à un niveau jamais atteint auparavant par le roman psychologique- , viennent en outre s'y rajouter une forme de resserrement thématique inédit (la jalousie obsessionnelle du narrateur), ou en tout cas beaucoup plus important que dans les tomes précédents, dans lesquels l'auteur nous avait habitués à force digressions, ramifications et récits subsidiaires ; assez inouïe, enfin, la linéarité présente autant dans la chronologie de la narration (le récit se compose de séries de journées regroupées, à quelques mois d'intervalle, suivant les saisons de cette toute dernière année vécue ensemble par les amants), ainsi que dans l'enchaînement logique conduisant de l'emprisonnement d'Albertine, au retour de Balbec, jusqu'à son évasion spectaculaire à la fin du roman.

Mais ce qui paraît surtout prodigieux, c'est que, loin d'y être revenu à des règles plus classiques de narration littéraire -unité de lieu (l'appartement du Narrateur), unité d'action et de « péril » (la surveillance stricte des faits et gestes de sa maîtresse) et unité de temps- comme l'on pourrait supposer à tort, Proust pose ici un décor et un cadre en apparence mieux repérables, mais en trompe l'oeil, afin justement de mieux pouvoir se détacher des codes consacrés du roman réaliste !

Gammes sublimes autour d'un thème unique, narration plus que jamais évanescente, générant au passage d'impressionnantes torsades temporelles, outre les ratiocinations en boucle du Narrateur, le lecteur n'aura quasiment rien d'autre de concret à se mettre sous la dent ! Toute l'action se tient dans une suspension parfaite, ce jusqu'aux tout derniers paragraphes du roman.

Moins soucieux que jamais d'une conformité à une réalité romanesque matériellement objectivable, aucune contextualisation de l'intrigue ne semble non plus indispensable (pas la moindre indication, par exemple, des raisons qui justifieraient une aussi longue absence de la famille du Narrateur de l'appartement à Paris, ni d'où serait passée entretemps la tante d'Albertine, Mme Bontemps, sans parler de bien d'autres…?).
Aussi, de la seule scène tout à fait «extérieure», et à l'appartement, et à ce qui s'y passait en huis-clos, la fameuse soirée chez les Verdurin, mise à part la description détaillée de la brouille entre Monsieur de Charlus et ces derniers, on retiendra avant tout le long monologue suscité par l'écoute du Septuor de Vinteuil joué ce soir-là, apaisant momentanément le Narrateur et l'amenant à conclure que «l'art n'est peut-être pas aussi irréel que la vie».


C'est peut-être aussi parce que tous les cours d'eaux sinueux provenant de sources en apparence éloignées les unes de autres ayant alimenté La Recherche du Temps Perdu, se rejoignent à partir d'ici sur un lit unique, encore plus profond et de plus en plus immatériel, là où cessant de vouloir faire la part entre réalité extérieure et intérieure, à l'embouchure proche du temps retrouvé, l'on espère enfin ne plus avoir à redouter que dans notre vie «le passé ne se réalise pour nous qu'après l'avenir», nous égarant alors en d'inextricables regrets et en ressassements inutiles, mais que, «conservé depuis longtemps en nous, nous apprenions tout d'un coup à le lire».


...

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Où il est question des vicissitudes sentimentales du narrateur pour Albertine…
Le narrateur hésite encore à épouser Albertine. Ils vivent dans le même appartement. Ils ont chacun leur chambre et leur salle de bain, jointives, ce qui leur permet de dialoguer pendant leurs ablutions. Il découvre qu'il est jaloux quand elle n'est pas avec lui, car il n'est pas sûr de sa fidélité. Il a toujours en tête des soupçons de relation saphique entre Albertine et Andrée qu'il convoite lui-même, mais aussi avec Mlle Vinteuil et Léa, comédienne et lesbienne reconnue…
« … Je me demandais si me marier avec Albertine ne gâcherait pas ma vie, tant en me faisant assumer la tâche trop lourde pour moi de me consacrer à un autre être, qu'en me forçant à vivre absent de moi-même à cause de sa présence continuelle et en me privant à jamais des joies de la solitude. Et pas de celles-là seulement.» Il souligne là un fait entendu par toutes et tous mais rarement ouvertement reconnu de cette part de liberté sacrifiée sur l'autel de la relation amoureuse et dont l'importance est toute relative à chaque individu.
Alors que la relation du narrateur avec Albertine commence à connaître le bonheur, émerge dans la pensée de celui-ci le doute. Il témoigne de ce besoin irrépressible de remettre tout en question, car si cette union a atteint son point idyllique, il arrive le moment où il ne peut penser que cela durera pour toujours. Alors l'imaginaire envahit son esprit et creuse les fondations de ce qu'il envisage comme une tragédie, avant que la conscience n'en détecte les premiers signes, ou du moins ne croie en deviner les éléments factuels. « Et si… » engage le narrateur sur la pente vertigineuse du doute qui l'entraîne sur la piste de faits dont l'explication arrangée qu'il en fait corrobore ce qu'il aurait pu craindre le plus : la trahison. Tout n'est qu'invention dans l'esprit du narrateur mais à force de tourner, virer, prend la forme exacte d'une vérité supposée. La moindre parcelle d'emploi du temps non expliquée est pour le narrateur source de turpitudes et d'interrogations laissant le libre champs à des scénarios des plus vraisemblables aux plus loufoques. L'auteur fait la démonstration de cette propension qu'a l'humain de corrompre souvent toute relation sentimentale parfaite, trop parfaite, par cette angoisse vertigineuse qu'elle se finisse ou plus simplement en ce qui concerne le narrateur de peut-être révéler par la suite sa vraie nature. Son Moi l'inonde d'informations vraies ou fausses, impossibles à vérifier mais élaborées sur la base d'indices concordant pour que lui-même soit en adéquation avec son raisonnement paranoïaque et en déduise l'infondé de cette relation. Albertine devenant coupable, le prétexte pour s'en séparer permet de faire cesser ses vicissitudes, ses hésitations, ses questionnements, recouvrir sa liberté et lui laisser le champs libre vers d'autres horizons.
« La prisonnière » est aussi l'occasion pour l'auteur d'enfin révéler la part de fiction et de réalité entourant le narrateur, et la relation intime qui les lie. « Elle retrouvait la parole, elle disait : « Mon » ou « Mon chéri », suivis l'un ou l'autre de mon nom de baptême, ce qui, en donnant au narrateur le même prénom qu'à l'auteur de ce livre eût fait : « Mon Marcel », « Mon chéri Marcel ». »
Plus il essaye « d'attraper » Albertine, plus elle lui échappe alors qu'il la voudrait sienne, soumise, « sa prisonnière ». C'est là tout le paradoxe du narrateur car lorsqu'elle serait selon ses désirs, il remarque : « Si les femmes de ce qu'on appelait autrefois les maisons closes, si les cocottes elles-mêmes (à condition que nous sachions qu'elles sont des cocottes) nous attirent si peu, ce n'est pas qu'elles soient moins belles que d'autres, c'est qu'elles sont toutes prêtes, que ce qu'on cherche précisément à atteindre, elles nous l'offrent déjà, c'est qu'elles ne sont pas des conquêtes. » Et plus loin : « On aime que ce en quoi on poursuit quelque chose d'inaccessible, on n'aime que ce qu'on ne possède pas, et bien vite je me remettais à me rendre compte que je ne possédais pas Albertine. »
La musique de Vinteuil est présentée comme une autre madeleine de Proust, élément déclencheur de souvenirs, d'impressions qui se rappellent à nous. « Dans la musique de Vinteuil, il y avait ainsi de ces visions qu'il est impossible d'exprimer et presque défendu de contempler, puisque, quand au moment de s'endormir on reçoit la caresse de leur irréel enchantement, à ce moment même, où la raison nous a déjà abandonnés, les yeux se scellent et, avant d'avoir eu le temps de connaître non seulement l'ineffable mais l'invisible, on s'endort… Ainsi rien ne ressemblait plus qu'une belle phrase de Vinteuil à ce plaisir particulier que j'avais quelquefois éprouvé dans ma vie, par exemple devant les clochers de Martinville, certains arbres d'une route de Balbec ou plus simplement au début de cet ouvrage, en buvant une certaine tasse de thé. »
On notera dans ce cinquième tome d' « à la poursuite du temps perdu » que l'auteur écrit deux fois le même passage, en page 165 de la collection blanche de Gallimard et en page 314, où il fait le distinguo entre ce que les gens voient de nous et l'image que nous imaginons leur envoyer. « Nous ne voyons pas notre corps, que les autres voient, et nous « suivons » notre pensée, l'objet invisible aux autres, qui est devant nous. »
Dans « La prisonnière », Marcel Proust démonte avec la précision d'un horloger les rouages de la relation amoureuse, les sentiments passionnés et ses imperfections, son pouvoir destructeur, les errements de la pensée galante mais jamais la gymnastique charnelle du couple, son incarnation physique. Son approche de la relation amoureuse est cérébrale.

« L'amour, c'est l'espace et le temps rendus sensibles au coeur. »

Editions Gallimard, 377 pages.
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Une année avec Proust #5

Bonjour Babelio !!!
Que ça fait longtemps que je n'avais plus rien posté. Trois longs mois de surcharge professionnelle qui m'ont empêché de vivre et de lire. Et vu que Babelio est assez chronophage, il st tombé dans la foulée.
L'important c'est que ça commence à se calmer et que je peux enfin vous retrouver.
Et je vous retrouve avec ce brave Marcel... Enfin brave, sur ce tome, on pourrait plus le qualifier de "gros connard" qu'autre chose. Pauvre Albertine !
Dans ce 5ème opus, Albertine vit chez le narrateur qui n'est pas Marcel, mais que c'est quand même Marcel... Nous l'appellerons donc Marcel. le problème c'est que Marcel considère Albertine pas assez bien pour lui, et il la cache. Elle est prisonnière et ne peut vraisemblablement pas sortir tandis que lui sort dans le monde, sans elle. C'est son objet, caché à la vue de tous. Elle doit même s'enfermer dans la chambre quand il reçoit.
Marcel est jaloux maladif, il lui prête des aventures avec des femmes. Il rêve de la quitter, mais le ne fait pas, et crève de mal quand elle ne l'embrasse pas.
Albertine, tu te sors de là ma grande et fissa !!!

Proust dans toute sa splendeur avec phrases à rallonge et lenteurs assommantes. J'ai mis plus de deux mois à le lire.
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Marcel analyse un peu moins pour agir un peu plus, relativisant l'intérêt des déductions issues de l'observation :

« Ceux qui apprennent sur la vie d'un autre quelque détail exact en tirent aussitôt des conséquences qui ne le sont pas et voient dans le fait nouvellement découvert l'explication de choses qui précisément n'ont aucun rapport avec lui ».

Si l'observation persiste , elle est focalisée sur l'objet de son tourment : Albertine l'a rejoint à Paris et demeure chez lui, partageant son quotidien dans des conditions proches de la séquestration. Si elle est libre de ses allées et venues c'est avec une surveillance de tous les instants et des interrogatoires en règle à son retour. Marcel a depuis longtemps décelée en elle une menteuse et qui plus est, peu finaude, s'emmêlant dans ses contradictions. Marcel traque l'existence non d'un amant mais d'une amante.

« Sans me sentir le moins du monde amoureux d'Albertine, sans faire figurer au nombre des plaisirs les moments que nous passions ensemble, j'étais resté préoccupé de l'emploi de son temps ».

On perçoit que seuls les avantages matériels d'une telle situation, elle qui n'a pas le sou soient la seule raison de sa présence, tant Marcel est insupportable. D'autant qu'il dit lui-même souhaite rompre, sans se décider. La jalousie qu'il ressent est une sorte de moteur central dans cette relation ambigüe.

Le baron de Charlus n'est pas en reste au cours de ce tome, de plus en plus imbu de sa personne, sans avouer ses meurs mais avec un certain prosélytisme tout de même. Un de ses cibles, mal choisie car sous-estimée, est Mme Verdurin dont il a tenté de vampiriser une de ses soirées où le musicien Morel était la vedette.

Au delà de des liens tissés avec son entourage, Proust rédige de très belles pages sur les bruits de la rue, ceux qu'il perçoit alors qu'il est encore couché, et met des images personnelles ur l'animation qui lui parvient.

Il développe aussi une analyse autour de la musique, à partir de la sonate de Vinteuil qui bien au delà de la petite phrase sorte de signature du musicien, comme il en existe dans toute oeuvre qu'elle soit littéraire ou artistique, atteint la sensibilité et la mémoire de Marcel.





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Ce sera un seul billet pour les cinquième et sixième tomes de la recherche. Ces deux tomes sont très centrés sur la relation entre Albertine et Marcel, le narrateur. Oui, oui, vous avez bien lu, Albertine l'a appelé par son prénom, un mystère est percé.

La lecture a été un peu plus compliquée autour d'une partition sans cesse renouvelée et disséquée d'un « Si tu ne m'aimes pas, je t'aime, si je t'aime, prends garde à toi ».

C'est le temps des déclinaisons de l'amour : amour-exclusivité, amour-jalousie, amour-possessivité, amour-amitié, amour-vanité, amour-indifférence, amour-secrets, amour-soupçons, amour-souffrance, amour-tourments, amour-perte.

Le narrateur, rongé par la jalousie, persuadé qu'Albertine est gomorrhéenne et lui ment, la fait surveiller, espionner, la dissuade de sortir, bref la maintient prisonnière de ses affres et des quatre murs de son appartement parisien où il vit seul à ce moment avec sa bonne, Françoise.
Mais toujours, elle lui restera insaisissable, ce qui maintiendra le narrateur dans sa jalousie fébrile. Et, quand à son bon vouloir elle se soumet, il s'en détache. Que ce jeu est cruel !

Alors, Albertine finit par disparaître, sortir de la vie du narrateur, s'enfuit un jour au petit matin, à l'heure où il se croit en désamour d'elle. Son départ va déclencher un retour de manivelle, il l'aime à nouveau, veut l'avoir en permanence à ses côtés. L'obsession d'elle, ses soupçons s'emparent totalement et à nouveau de lui.

Le cycle d'Albertine est beaucoup plus psychologique que les tomes précédents, c'est évidemment très fin, même trop pour moi. Heureusement, il y a des sublimes passages descriptifs, entre autres lorsque Proust décrit des moments sensuels et sensoriels dans les portraits qu'il fait d'Albertine, exposée aux différents regards, sens, du narrateur. Que dire des bruits et des lumières dont Proust possède le talent incomparable et grandiose de les rendre palpables. Enfin, lors d'un séjour à Venise, il rend cette ville encore plus somptueuse qu'elle l'est déjà sans l'hommage de l'auteur.

Vous l'aurez compris, ce ne sont pas les deux tomes dont je garderai le meilleur souvenir à première vue. J'insiste sur à première vue, car à nouveau, je me sens l'âme d'une future relectrice. Il n'y a rien à faire, je reste envoûtée par la prose proustienne. J'ai toujours l'impression d'une lecture préparatoire à une nouvelle lecture de la recherche.

C'est d'ailleurs pour cette raison que je m'abstiens de noter ces deux tomes.

J'ai maintenant hâte de terminer, d'avoir lu le temps retrouvé, et de pouvoir tourner autour de ce chef d'oeuvre avec des essais d'auteurs experts de Proust et de la recherche.
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Citations et extraits (195) Voir plus Ajouter une citation
Quelquefois, en effet, quand je me levais pour aller chercher un livre dans le cabinet de mon père, mon amie, m'ayant demandé la permission de s'étendre pendant ce temps-là, était si fatiguée par la longue randonnée du matin et de l'après-midi, au grand alf, que, même si je n'étais resté qu'un instant hors de ma chambre, en y rentrant, je trouvais Albertine endormie et ne la réveillais pas. Etendue de la tête aux pieds sur mon lit, dans une attitude d'un naturel qu'on n'aurait pu inventer, elle avait l'air d'unes longue tige en fleur qu’on aurait disposée là ; et c'était ainsi en effet : le pouvoir de rêver que je n'avais qu'en son absence, je le retrouvais à ces instants auprès d'elle, comme si, en dormant, elle était devenue une plante. Par là, son sommeil réalisait, dans une certaine mesure, la possibilité de l'amour: seul, je pouvais penser a elle, mais elle me manquait, je ne la possédais pas; présente, je lui parlais, mais étais trop absent de moi-même pour pouvoir penser. Quand elle dormait, je n'avais plus à parler, je savais que je n'étais plus regardé par elle, je n'avais plus besoin de vivre à la surface de moi-même.
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Ainsi nous présentions-nous l’un à l’autre une apparence qui était bien différente de la réalité. Et sans doute il en est toujours ainsi quand deux êtres sont face à face, puisque chacun d’eux ignore une partie de ce qui est dans l’autre (même ce qu’il sait, il ne peut en partie le comprendre) et que tous deux manifestent ce qui leur est le moins personnel, soit qu’ils n’aient pas démêlé eux-mêmes et jugent négligeable ce qui l’est le plus, soit que des avantages insignifiants et qui ne tiennent pas à eux leur semblent plus importants et plus flatteurs. Mais dans l’amour, ce malentendu est porté au degré suprême parce que, sauf peut-être quand on est enfant, on tâche que l’apparence qu’on prend, plutôt que de refléter exactement notre pensée, soit ce que cette pensée juge le plus propre à nous faire obtenir ce que nous désirons, et qui pour moi, depuis que j’étais rentré, était de pouvoir garder Albertine aussi docile que par le passé, qu’elle ne me demandât pas, dans son irritation, une liberté plus grande, que je souhaitais lui donner un jour, mais qui, en ce moment où j’avais peur de ses velléités d’indépendance, m’eût rendu trop jaloux. A partir d’un certain âge, par amour-propre et par sagacité, ce sont les choses qu’on désire le plus auxquelles on a l’air de ne pas tenir. Mais en amour, la simple sagacité — qui, d’ailleurs, n’est probablement pas la vraie sagesse — nous force assez vite à ce génie de duplicité.
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Au reste, ce n’était pas seulement la mer à la fin de la journée qui vivait pour moi en Albertine, mais parfois l'assoupissement de la mer sur la grève par les nuits de clair de lune.
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Les mots « trop chers », « dépasser mes moyens », revenaient tout le temps dans la conversation de la duchesse, ainsi que ceux : « je suis trop pauvre », sans qu’on pût bien démêler si elle parlait ainsi parce qu’elle trouvait amusant de dire qu’elle était pauvre, étant si riche, ou parce qu’elle trouvait élégant, étant si aristocratique, tout en affectant d’être une paysanne, de ne pas attacher à la richesse l’importance des gens qui ne sont que riches et qui méprisent les pauvres. Peut-être était-ce plutôt une habitude contractée d’une époque de sa vie où, déjà riche, mais insuffisamment pourtant, eu égard à ce que coûtait l’entretien de tant de propriétés, elle éprouvait une certaine gêne d’argent qu’elle ne voulait pas avoir l’air de dissimuler. Les choses dont on parle le plus souvent en plaisantant sont généralement, au contraire, celles qui ennuient, mais dont on ne veut pas avoir l’air d’être ennuyé, avec peut-être l’espoir inavoué de cet avantage supplémentaire que justement la personne avec qui on cause, vous entendant plaisanter de cela, croira que cela n’est pas vrai.
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La nature ne semble guère capable de donner que des maladies assez courtes. Mais la médecine s’est annexé l’art de les prolonger. Les remèdes, la rémission qu’ils procurent, le malaise que leur interruption fait renaître, composent un simulacre de maladie que l’habitude du patient finit par stabiliser, par styliser, de même que les enfants toussent régulièrement par quintes longtemps après qu’ils sont guéris de la coqueluche. Puis les remèdes agissent moins, on les augmente, ils ne font plus aucun bien, mais ils ont commencé à faire du mal grâce à cette indisposition durable. La nature ne leur aurait pas offert une durée si longue. C’est une grande merveille que la médecine, égalant presque la nature, puisse forcer à garder le lit, à continuer sous peine de mort l’usage d’un médicament. Dès lors, la maladie artificiellement greffée a pris racine, est devenue une maladie secondaire mais vraie, avec cette seule différence que les maladies naturelles guérissent, mais jamais celles que crée la médecine, car elle ignore le secret de la guérison.
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À ceux et celles qui aimeraient connaître une «méthode» simple pour lire « À la recherche du temps perdu » de Marcel Proust. Voici celle que Gaston Gallimard (son éditeur) conseillait à l'éditeur Guy Schoeller, fondateur de la collection "Bouquins" chez Robert Laffont.
Extrait d'une entrevue télévisée de l'émission : « OCÉANIQUES : des idées, des hommes, des oeuvres. » , « Lire Proust » par Pierre-André Boutang et Michel Pamart (1987)
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