Le roman des esquisses, des ébauches, des amorces, des intentions... qui ne débouchent que sur des raccourcis, des simplifications, des évitements, des clichés, des rendez-vous manqués, et au final un arrière-goût de superficiel.
Et pourtant, Dieu sait s'il y avait dans le thème du racisme et celui de la ségrégation raciale aux États-Unis au coeur des années 30, dans le Sud profond cher à
Toni Morrison,
Maya Angelou,
Jesmyn Ward, Kathryn Stokett,
Joe R. Lansdale,
Harper Lee,
James Baldwin,
Harriet Beecher Stowe,
Colson Whitehead,
William Styron,
Joyce Annette Barnes,
Richard Wright,
Alex Haley ou encore Kirk Mitchell alias
Joel Norst etc etc... matière à faire, à dire, à raconter, à écrire !
Une des questions que je me suis posé en lisant - Scandale -, c'est si un académicien français fait de ce thème un roman terriblement simplifié, réduit à ce qu'il y a de plus conventionnel dans le genre, est-ce que c'est parce qu'il faut être noir ou blanc mais américain pour être à la hauteur d'un tel sujet ?
Car circonscrire la réponse au talent de
Jean-Marie Rouart ne serait pas répondre correctement et honnêtement à la question.
Le talent de l'écrivain est indéniable... même si dans ce livre au thème ambitieux, un auteur de sa trempe n'a fait qu'effleurer un sujet qui était largement à la portée dudit talent...
L'histoire se situe donc à Norfolk dans le sud des États-Unis en l'année 1935.
Norfolk est une petite ville bourgeoise, ultra-conservatrice et très religieuse.
Depuis le 1er décembre 1863, date de la proclamation par
Abraham Lincoln de la fin de l'esclavage, et surtout depuis le 31 janvier 1865, date à laquelle est définitivement mis fin à cet asservissement légal de femmes, d'hommes et d'enfants noirs par la communauté blanche des États du sud, blancs et noirs coexistent à Norfolk sur les restes de cet héritage.
Les blancs conservent leur suprématie sur des noirs dont ils ne sont plus officiellement les maîtres mais sur lesquels ils gardent un ascendant physique, psychologique, économique et social.
Leur atout maître étant la loi qui n'est jamais favorable aux descendants de Natan Turner.
Il n'est qu'à se référer à ce qui se vit toujours en 2023 au pays de Trump pour réaliser qu'encore aujourd'hui il faut répéter et répéter sans relâche que " black life matters " pour que nous viennent aussitôt à l'esprit des noms et des visages comme celui de l'infortuné George Floyd... une victime parmi d'autres trop nombreuses victimes de ce racisme endémique... dont nous parle si bien
Ta-Nehisi Coates dans son formidable livre intitulé -
Une colère noire - Lettre à mon fils -...
Les noirs ont des tâches subalternes, sont taillables et corvéables à merci.
Sous-citoyens, ils sont ghettoïsés dans un bidonville d'une centaine de baraquements, masures en torchis, maisons en bois, dont on fait en sorte que les bicoques qui en dessinent les contours aient leurs balcons fleuris pour créer l'illusion, aspect trompe-l'oeil qui donne le change, dissimule la misère qui se cache derrière ces taudis aux ruelles boueuses ; si le racisme n'est pas visible, c'est qu'il n'y a pas de racisme.
Norfolk est baignée par la Molly River, un fleuve poissonneux où se retrouvent pêcheurs, kayakistes, avironistes, plaisanciers, baigneurs et bambocheurs qui font la noce dans une auberge éclairée de lampions multicolores.
Ces fêtards sont essentiellement les jeunes blancs de Norfolk, lesquels ont un droit de cuissage officieux sur les gamines noires.
Au moment où commence le récit, deux affaires se superposent, se télescopent.
La première concerne Jim Gordon " un jeune homme de dix-huit ans qui traînait tous les coeurs de jeunes filles après soi et même ceux des garçons" et Angela " une belle jeune femme noire à peine un peu plus âgée que lui".
Ces deux-là s'aiment, d'un amour passionné, fusionnel dans lequel la frénésie des sens est insatiable.
La seconde met en scène Robert Middleton-Murray, " un grand blond à l'air roublard avec une démarche d'ours ", suspecté d'avoir au cours d'une de ses beuveries violé et causé la mort d'une jeune fille noire retrouvée noyée dans la Molly River.
Jim Gordon et Robert Middleton-Murray se connaissent, ont le même âge et entretiennent des rapports d'amitié à distance.
Leurs deux familles appartiennent à la haute bourgeoisie locale.
Mais les Middleton-Murray sont les maîtres de Norfolk.
Le juge Nathan Parker va donc faire en sorte d'épargner Robert en concluant à un suicide et pour créer un écran de fumée, c'est la liaison de Jim et d'Angela qui va susciter "
le scandale "...
La jeune femme va être enlevée et enfermée dans un bordel à Bethlehem, une bourgade proche de Norfolk.
Jim quant à lui va être envoyé à Boston pour y poursuivre ses études...
Des intervenants, que je vous laisse découvrir, vont tout faire pour sortir Angela de l'enfer de la maison close et pour que les amants puissent se retrouver... mais c'est compter sans les démons qui continuent de hanter ces WASP, leurs affidés et tous les idiots utiles qui gravitent autour d'eux, ni sur l'ambiguïté de cette Amérique qui assassinera quelques années plus tard
Malcolm X,
Martin Luther King et donnera le pouvoir à
Donald Trump...
La structure narrative est faite de trois parties de 15 et deux fois 18 très courts chapitres.
Le style est fluide et agréable ; la lecture aisée.
Le problème pour moi a été la simplification exagérée de l'histoire avec des personnages d'une hyperlabilité à la limite du raisonnable ; Jim marié à une très belle Bostonienne, Sally, ne va pas l'aimer tout en l'aimant puis en ne l'aimant plus avant de la réaimer...coucher avec elle sans envie, puis par moments la désirer, ne plus s'intéresser à elle et une fois cocu être pris d'un retour de flamme difficile à entendre au moment où Angela...
Quant à Sally, elle est amoureuse de Jim et très "demandeuse", bien que connaissant les antécédents amoureux de son époux... jusqu'au jour où Jim devenu le bouc émissaire des deux communautés va devoir rendre des comptes à la justice...alors elle ne va plus vouloir mêler sa chair à celui qui couche avec une " putain de négresse "...et puis il y aura quelques entorses même lorsqu'elle deviendra la maîtresse de Robert Middleton-Murray. Ségrégationniste, elle se convertira à l'antiségrégationnisme dont elle deviendra une farouche militante, allant jusqu'à adopter un enfant noir, créant des fondations, des hôpitaux... sans qu'on puisse se convaincre de sa sincérité...
Et toute l'histoire, racontée par un narrateur à la 3ème personne du singulier, est de ce tenant.
Il n'y a aucune fouille, aucun travail sur la psychologie des personnages... et le peu de dialogues du roman n'est pas fait pour aider.
En dehors de l'inconstance des personnages, de leur côté esquisses superficielles, le cumul des clichés est impressionnant ; presque tous les personnages donnent l'impression d'être la représentation de l'idée que l'auteur se fait de cette Amérique et de son histoire ; mais si le principe n'est pas à rejeter en bloc, qu'ils aient pu avoir une existence identifiable, compréhensible, crédible aurait apporté une dimension romanesque bien trop maigrichonne dans l'usage qu'en fait
Jean-Marie Rouart.
Outre la fin alambiquée, le dernier chapitre nous la joue : que sont-ils devenus par la suite... et là c'est le pompon !
Je ne veux pas davantage divulgâcher ce qui sera peut-être votre lecture... mais que je vous dise que la fille d'Angela et de Jim ( oui, ils ont eu une petite fille après qu'Angela ait été arrachée à la prostitution ) " a fait parler d'elle dans les années 70 lorsqu'elle a été arrêtée par la police pour sa participation au mouvement des Black Panthers " et vous saisissez ce que j'entends par cliché.
Je ne recommande pas forcément ce roman à ceux qui ont fait de meilleures lectures sur ce sujet grâce à quelques-uns des auteurs que j'ai cités plus avant, mais pour un lectorat en quête de découvertes, c'est simple, facile, pas désagréable et ça peut susciter d'autres exigences...