L'ange des ténèbres se rapproche davantage d'une expérience littéraire que d'un roman traditionnel, dernier volet d'une trilogie, dernier roman autoproclamé d'Ernesto Sabato. D'ailleurs, cet auteur argentin est autant sinon davantage reconnu pour ses prises de position, ses essais, ses réflexions sur le monde, sur la politique, etc.
Ainsi donc,
L'ange des ténèbres est tout à l'image de son créateur. Érudit, étrange, fascinant, labyrinthique. Une curiosité dans le paysage littéraire du milieu du XXe siècle. Surtout, une autofiction, dans laquelle Sabato joue son rôle en même temps qu'il est mêlé à des aventures insolites qui l'amènent à exposer ses opinions.
Ce roman le met en scène, oui, mais à la troisième personne. Les choses ne pouvaient être simples… On rencontre d'abord Sabato à travers les yeux de Bruno, un personnage de son deuxième roman, Alejandra (ou Héros et tombes, c'est selon). D'ailleurs, plusieurs éléments de son univers littéraire reviennent.
Ainsi donc, Sabato lui-même se met à regretter la publication de son dernier roman, il semblerait qu'il craigne les représailles de la Société des Aveugles qu'il avait dévoilé au grand jour. Un symbole pour dénoncer la situation politique en Argentine, où torturer son voisin était courant ? Dans tous les cas, ce n'est pas une histoire au sens conventionnel du terme. Les déambulations de son Sabato à travers Buenos Aires ne sont qu'un prétexte. Ses péripéties, ses observations, ses réflexions (peut-être mêmes ses confessions ?) deviennent l'essentiel. N'y cherchez pas une trame, surtout pas un début et une fin, du moins, pas dans le sens habituel du terme.
Plus haut, j'ai fait mention d'une autofiction mais c'est beaucoup plus. le lecteur patauge dans un univers à la frontière du surréel, de la folie ou du fantastique. D'un style complètement éclaté, Sabato ne s'est imposé aucune limite, avec ses théories du complot, comme cette Société des Aveugles qui étendrait ses tentacules sur la société, sur le monde. À propos du roman, on dit qu'il s'agit essentiellement d'un manifeste. Rien ne le décrit mieux.
L'auteur termine
L'ange des ténèbres avec son éventuelle mort, avec son épitaphe : ERNESTO SABATO Quiso ser enterrado en esta tierra con una sola palabra en su tombra PAZ (Eernesto Sabato a voulu être inhumé dans cette terre avec ce seul mot sur sa tombe : PAIX) Organiser sa propre fin ? Ou, plutôt, la mort du romancier en lui ? Pourquoi pas ? Ce voyage particulier ne pouvait que terminer sur une pareille note.