Lire Didier van Cauwelaert reste une valeur sûre. Sûre d'aller au bout, et sûre de passer un bon moment de détente. Même si ce n'était pas gagné ici...
Jules, brave chien-chien à sa mémère Alice n'est pas n'importe quel chien: il est guide pour aveugle. Et donc, tout logiquement, Alice, la mémère à son chien-chien, est l'aveugle en question. Oui mais voilà qu'elle se fait opérer des yeux et retrouve direct la vue. Saperlipopette, mais que va devenir
Jules alors?
Et comme ça ne suffit pas pour bâtir un roman, on rajoute un peu de sel à cette belle relation déjà larmoyante, avec Zibal l'ingénieur biochimiste pseudo-raté amoureux transi d'Alice, et Fred, homosexuelle "synthèse entre
Françoise Sagan et
Michel Polnareff", qui se battent gentiment pour les beaux yeux tout neufs de la mémère. Ça s'aime, ça se cherche, ça se déchire, ça se retrouve, de la vraie romance à la guimauve.
Bon avouez qu'à première vue, je ne le vends pas très bien ce roman alors que pourtant je n'ai pas detesté...
Mais juste reflet du premier ressenti après lecture de la moitié du livre: une vilaine comédie romantique douteuse. J'étais à deux doigts de bazarder ce bouquin malgré l'affection portée à l'auteur. Mais avant de l'abandonner bassement sur l'autoroute (un chien en couverture, je me disais qu'une bonne âme l'aurait vite recueilli), j'ai lu la note de l'auteur et ses remerciements en toute fin de livre. Et là, rebondissement: loin d'avoir choisi un sujet au hasard comme je l'imaginais,
Didier van Cauwelaert est un vrai passionné pour les chiens d'aveugle depuis son enfance! S'il avait ce sujet en tête depuis autant de temps et avait mûri ce projet d'écriture depuis tant d'années, il méritait dès lors que je lui laisse une seconde chance. Ni une ni deux, rétropédalage et poursuite de la lecture en accordant davantage de crédibilité à l'oeuvre. Et finalement, me voilà parvenue à voir plus que le miel apparent (ce que d'autres lecteurs plus dégourdis que moi auront probablement débusqué dès le départ du reste...).
Avant tout, c'est un véritable hommage au travail de ces chiens formés à l'aide au quotidien des handicapés. Au travers de cette relation fusionnelle entre ce chien-guide et sa maîtresse (on ne dit plus mémère quand on respecte à nouveau un personnage),
Van Cauwelaert apporte également un regard neuf sur la cécité et le handicap advenu tardivement. Les émotions de
Jules, laissé pour compte et totalement désemparé suite à la guérison d'Alice, sont finalement le reflet de celles d'Alice survenues après l'"accident", et peut-être celles du handicap en général: sentiment d'abandon, d'impuissance, perte de repères, dépendance à l'autre, difficultés à se reconstruire. Avec simplicité, humour, sans voyeurisme ni sensiblerie, l'auteur relève le défi de faire "parler" un chien au nom du handicap. Dès lors, l'invraisemblance des relations amoureuses du trio est reléguée au second plan et on ne porte qu'un intérêt grandissant à ce chien, porteur de nobles sentiments.
Donc malgré mes premiers doutes, je salue la prise de risque de van Cauwelaert de faire d'un chien le personnage central, et son hommage à ces indispensables chiens-guides d'aveugles est tout à son honneur.
Ce n'est certes pas le livre du siècle en ce qui me concerne, mais il s'avère néanmoins distrayant et séduisant sous son air badin.