Laurent Gaudé s'est basé, 5 ans après, sur des faits réels causés par l'
ouragan Katrina , tellement destructeur et révélateur des différences : les classes aisées, en majorité blanches avaient été évacuées ,mais le neuvième district (Lower Ninth) peuplé à 99 pour cent de Noirs, un des quartiers les plus violemment touchés, dont les digues avaient sauté, reste inondé avec ses habitants.
Les crocodiles avancent, envahissent le quartier inondé. La prison « Parish Prison » n'est pas évacuée, sauf les chiens, et les prisonniers sont pris au piège de leurs cages envahies par l'eau, jusqu'à l'ouverture des portes suite à un dysfonctionnement électronique.
« Il a dit que l'ordre d'évacuation de la ville ne concernait pas les prisonniers de Parish Prison…. Sauf les chiens !... et nous avons tous ri, car il ne fallait tout de même pas nous prendre pour des imbéciles. le directeur a senti qu'il devait en dire un peu plus, alors il a demandé le silence puis il a ajouté que c'était une prison, ici, et que chacun connaissait son métier, qu'ils allaient continuer à faire ce qu'ils savaient faire, même s'il se mettait à pleuvoir dehors, il a même dit : « Nous le ferons ensemble », comme s'il parlait d'une oeuvre commune pour laquelle il aurait besoin de notre bonne volonté, et puis il a fermé son micro et a disparu. Nous ne l'avons plus revu. Ni lui. Ni aucun gardien. Depuis, un grand silence est tombé sur la prison. Ils sont partis. »
On pourrait penser qu'une catastrophe naturelle, comme un
ouragan, un déferlement des puissances du ciel et de la terre, l'imminence de cet enfer précipitant notre mort certaine, la furie déchainée, notre mort mise à nu, pendant quelques minutes sans aucun espoir, que cette catastrophe unit les fuyards, tous dans le même bateau, les unit dans un destin de fin du monde.
En fait,
Laurent Gaudé choisit de montrer des individus perdus, seuls, confrontés à la violence des hommes et des éléments, n'ayant comme perspective de survie que leur propre peau.
Par un détour stylistique, il fait parler cependant plusieurs personnes, en commençant par la vieille négresse de près de cent ans, puis Rose la jeune mère, le prêtre raciste et meurtrier, Keanu, quittant la plateforme pétrolière pour retrouver son ancien amour.
Les paragraphes commencent par l'un, et se terminent par l'autre, comme si l'
ouragan, finalement, les réunissait sans qu'ils le sachent.
La vieille négresse sent l'odeur de l'
ouragan, la montée des eaux bourbeuses, et ce qu'elle charrie. « j'en ai vu passer plusieurs, toutes avec des noms de filles, des noms de trainées, oui, je les reconnais à l'odeur, à ce qu'elles charrient, je sens leur force et je peux vous dire que celle-là sera une affamée, une vicieuse, une méchante…»
( depuis 1978, les noms des
ouragans et des typhons et cyclones prennent l'un après l'autre des noms masculins et féminins).
L'
ouragan vu comme une colère divine (Dies irae), ou comme une conséquence de l'exploitation outrancière (les puits de pétrole) , par sa force et son impact meurtrier révèle la petitesse de l'homme, sa solitude et sa non-humanité.
« La nature est là qui l'entoure, lui crie aux oreilles, la nature qui jaillit par bourrasques, pleine de vie et effrayante, la nature qui n'est plus à l'échelle humaine. Il se demande un instant si cette tempête est un grand courroux des éléments ou un éclat de rire du ciel. »
Gaudé dit que ce qui l'intéresse, c'est que devant les grandes catastrophes naturelles l'orgueil humain soit battu en brèche. Et c'est ce qu'il fait dire à la vieille Joséphine, introduisant et concluant le récit: « je sais que la nature va parler. Je vais être minuscule, mais j'ai hâte, car il y a de la noblesse à éprouver son insignifiance, de la noblesse à savoir qu'un coup de vent peut balayer nos vies et ne rien laisser derrière nous, pas même le vague souvenir d'une petite existence. »
Ouragan plus du coeur des hommes que de la nature déchainée.
LC avril : la nature dans tous ses états