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EAN : 9782253936312
288 pages
Le Livre de Poche (15/11/2023)
4.05/5   42 notes
Résumé :
Sur les rives de la mer du Nord, Renaud coule des jours malheureux dans sa maison de maître, malgré l’attention de ses amis, presque aussi perdus que lui : François, vieux chômeur lunaire, et Brigitte, investie auprès des migrants. Ni les rencontres régulières et souvent dangereuses avec Tarik, son dealer, ni les voyages sporadiques en Angleterre chez l’excentrique tante Clarisse ne viennent guérir son dégoût de l’existence. À la mort de sa vieille gouvernante, Rena... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (13) Voir plus Ajouter une critique
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Ostende, quand le ciel bas et lourd etc. C'est bien de cela qu'il s'agit dans ce roman mené de main de maitre par cette auteure belge.
Des personnes cabossées, seules, surtout. Car il est beaucoup question de solitude : morale et physique.
- Renaud, un homme extrêmement riche, blasé, sardonique, rempli d'autodérision et de sarcasme pour ses semblables, lesté d'un passé pitoyable sauvé du naufrage total par sa tante anglaise, Clarisse. Cherche refuge auprès de sa prostituée slave au caractère bien trempé.
- François, son ami paumé, chômeur, à fleur de peau, qui à la faveur d'un cours de tango rencontrera celle qui le sauvera.
- Brigitte, la quinquagénaire pré-ménopausée, qui trouve un sens à sa vie en s'occupant des migrants et qui ne dédaigne pas de temps en temps tomber dans les bras de ces beaux mâles.
- Et enfin la fière, écorchée vive, violente et entière Théodora, Salvadorienne ayant quitté son pays après d'atroces expériences.
Tout ce petit monde se rencontre sous un ciel bas et lourd….etc.

MAGNIFIFIQUE ! C'est l'occasion pour Emmanuëlle Pirotte de déployer la psychologie de ces humains blessés, de nous les faire comprendre, parce qu'au fond, qui ne l'est pas, blessé par la vie ?
Avec une empathie sans concession, tricherie ni complaisance, elle nous expose le fond de leur âme.
Et quel style ! Vivant, quelquefois trash, quelquefois poétique, sans fioriture mais sans fausse nudité.
J'ai été très agréablement surprise de me laisser prendre par la main pour explorer les tréfonds de ces êtres, riches ou pauvres, forts ou faibles, sans cesse ballottés par le vent du Nord qui remue leur mal-être.

Oui, il faut rompre les digues, de la vague nait un chef-d'oeuvre.

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«Avec la mer du Nord pour dernier terrain vague»

C'est du côté d'Ostende qu'Emmanuelle Pirotte nous entraine avec son nouveau roman, superbe de mélancolie de d'humanité. Avec à la clef la rencontre d'un quinquagénaire dépressif avec une émigrée salvadorienne.

Pour son cinquième roman, Emmanuelle Pirotte a choisi de mettre en scène une famille de haute-bourgeoisie belge, ou ce qu'il en reste. Renaud en est le symbole à la fois le plus fort et le plus faible. le plus fort parce qu'il rassemble tous les traits caractéristiques de sa lignée et le plus faible parce qu'après une tentative de suicide avortée dans sa jeunesse, ce quinquagénaire promène son mal de vivre en étendard.
Autour de lui, le personnel de maison vaque à ses occupations, à commencer par Staline. C'est ainsi qu'il avait surnommé Angèle, à son service depuis plus de quarante ans, et qu'il avait conservé malgré toutes les brimades qu'elle lui avait fait subir jeune, Jacqueline la cuisinière et son mari Henri, l'homme à tout faire. Mais c'est Teodora Paz, née à San Salvador le 20 novembre 1995, qui va jouer un rôle majeur dans cette histoire. Pour l'heure, elle s'occupe de trois enfants d'une famille belge installée à Marbella. Mais nous y reviendrons. le premier cercle, autour de Renaud, se compose de François, le fils de la cuisinière, qui est l'ami de Renaud depuis ses six ans et qui partage avec lui son spleen, lui qui s'est jamais remis de la perte de son épouse, suite à un cancer. Licencié, il a vivoté grâce à des petits boulots avant de se retrouver au chômage et n'a plus vraiment envie de retrouver du travail. Clarisse, en revanche, est plus lumineuse. C'est auprès de cette tante, installée en Angleterre, qu'il trouve refuge depuis qu'il est adolescent.
Complétons enfin le tableau avec Sonia, la prostituée moldave qu'il «loue» régulièrement, Brigitte qui milite dans l'humanitaire et Tarik, le dealer dont il vient de faire la connaissance et lui procure de la coke et du crack.
Alors que Renaud est en Angleterre, il apprend le décès d'Angèle et regagne la Belgique. C'est à peu près au même moment que la famille qui emploie Teodora décide de rentrer dans son plat pays. Quelques jours plus tard, à l'instigation de François, Renaud décide de prendre Teodora à son service. La Salvadorienne, dont on découvre petit à petit le trouble passé, et le bourgeois dépressif vont alors entrer dans une curieuse danse qui va les transformer tous deux.
Emmanuelle Pirotte réussit un roman d'une grande richesse, qui colle parfaitement à cette ambiance si bien rendue par Brel
Avec un ciel si gris qu'un canal s'est pendu
Avec un ciel si gris qu'il faut lui pardonner
Avec le vent du nord qui vient s'écarteler
En suivant Renaud et sa mélancolie, ses pensées morbides, la romancière parvient tout à la fois à nous le rendre attachant, malgré ses côtés insupportables. Il en va du reste de même de ses autres personnages, avec leur failles et leur humanité, lovés dans une écriture dont chacun des mots résonne, tout à tour sarcastique ou drôle, poétique ou crue. Une écriture aussi dense qu'addictive, une petite musique qui nous suit longtemps…


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Je connais peu d'écrivains capables de dresser le portrait de leurs personnages en trois phrases. Emmanuelle Pirotte le fait à la perfection et en général, elle les habille pour l'hiver (ex : p17, 36, 46), sans complaisance ni cruauté, un entre-deux inspiré qui laisse au lecteur la liberté de les aimer ou de chercher les raisons de les détester.
On est à Ostende, le genre d'endroit où il fait bon cacher sa misère sous une couette, un rail de coke ou des tonnes de gaufres. Il faut bien compenser, le ciel est bas et l'horizon, incertain. Ce livre sonne comme une chanson de Brel (« Ce chanteur qu'elle semblait vénérer tel un dieu, un dieu de ce Nord à la fois sinistre et regorgeant de merveilles d'une banalité bouleversante ») ou une balade de Bashung, juste, acérée, désespérée, avec beaucoup de mélancolie et un petit rayon de lumière au bout de la rime.
Renaud, le rentier blasé, s'enkyste dans sa fortune. Teodora, la tueuse repentie du MS-13, se morfond dans le souvenir douloureux de la petite fille qu'elle a laissée au Salvador. Tout les oppose et pourtant, « Teodora et Renaud étaient prisonniers d'une solitude abyssale. Ils partageaient un sort identique face à la nécessite de vivre ». Moins par moins, ça fait plus, alors peut-être que ces deux monstres trouveront la sortie du tunnel. Rien n'est moins sûr, il y a toujours une seringue qui traîne, un avion en partance et dix mille raisons de se perdre.
Tout est bien dans ce bouquin, le titre, la couverture, les personnages, les décors, l'atmosphère et le ton, féroce, avec ce qu'il faut de tendresse pour ne pas tomber dans le cynisme.
Bilan : 🌹🌹🌹
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Ostende, la mer du Nord, un ciel bas, gris comme la mer. Un environnement qui représente très bien l'état d'esprit de Renaud, la petite cinquantaine, un homme certes extrêmement riche, mais surtout un homme seul, très seul, en manque d'amour, en manque d'envie de vivre... Seul l'alcool, la drogue, le sexe tarifé l'illuminent encore.

Il a quelques amis dont le fidèle François, un paumé, sans emploi qu'il connaît depuis son enfance. C'était le fils de la cuisinière, il est désargenté, un peu en mal de vivre lui aussi depuis la mort de son épouse.

Il y a Brigitte, une militante humanitaire qui s'oublie et oublie sa fille pour les autres (migrants).

Téodora Paz est salvadorienne, elle travaille pour la famille Vervoort. Elle s'occupe des trois enfants, esclave des temps modernes, dévouée corps et âme à cette famille, ne disposant pas de temps pour elle.
Elle est en exil, un lourd passé derrière elle. Elle, la fière, violente, écorchée vive, va rencontrer Renaud lorsque ses employeurs n'en voudront plus.

Ces deux écorchés de la vie, lui, Renaud qui peut tout s'offrir et elle, qui a tout perdu vont se côtoyer, ces deux solitudes vont se métamorphoser.

Ce récit qui pourrait sembler déprimant de prime abord par la solitude de ses protagonistes va devenir lumineux grâce à l'excentrique tante Clarisse, porteuse d'espoir qui tissera des liens entre eux.

C'est un véritable portrait de notre société occidentale, des solitudes, de la cruauté de la vie, des fractures de classes sociales, de l'insolence des nantis, des violences et inégalités sociales que nous dresse Emmanuelle Pirotte.

Une écriture magnifique comme toujours, elle décrit ces échorchés vifs avec brio, humour. Un ton sarcastique, poétique empreint d'humanité.

La psychologie des personnages est très développée. On s'attache aux personnages que l'on a envie de sauver, de rendre heureux.

Un très beau roman que je vous conseille vivement.

Ma note : 9/10

Lien : https://nathavh49.blogspot.c..
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Renaud, riche, toxicomane, dépressif, traîne sa solitude et son ennui dans sa grande maison de maître ostendaise. Seul, pas tout à fait car il a la compagnie de sa vieille gouvernante espagnole, qui lui rappelle son enfance désastreuse. Il peut aussi compter sur quelques amis, dont François, veuf inconsolable, ou Brigitte, quinquagénaire qui trouve un sens à sa vie et un réconfort en aidant les migrants, malgré la désapprobation de sa fille. Bref, rien de bien joyeux dans ce petit groupe. Theodora, elle, est une émigrée salvadorienne au service d'une riche famille belge vivant en Espagne. Elle aussi porte son lot de malheur et de difficulté de vivre. Lorsque la famille belge quitte l'Espagne pour revenir en Belgique, la rencontre de Theodora et de Renaud provoque une sorte de choc dans leurs deux existences, que nous relate Emmanuelle Pirotte dans son roman. L'écriture est précise, recherchée, très riche de références culturelles et historiques. J'ai passé un très beau moment de lecture, même si j'ai été un peu surprise de l'épilogue.
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critiques presse (2)
LaCroix
31 mai 2021
Pour son cinquième roman, l’autrice belge promène un regard tout à la fois caustique et indulgent sur des personnages à la dérive entre Ostende et le Salvador.
Lire la critique sur le site : LaCroix
LeSoir
12 avril 2021
Emmanuelle Pirotte nous mène dans l’intimité de personnages écorchés, à bout de souffle, comme notre Occident.
Lire la critique sur le site : LeSoir
Citations et extraits (22) Voir plus Ajouter une citation
INCIPIT
Les premiers accords martèlent l’intérieur de sa tête. Renaud est à peine réveillé que cette satanée musique vient aussitôt lui vriller les tempes, à moins qu’elle n’eût été déjà là avant son réveil, ta tam, da ba da ba da ba da, ta ta ta ta ta ta, tam tam, à vous rendre fou, d’éblouissement, d’agacement, c’est syncopé et fluide, raide et souple, ça exprime tout et ça n’exprime rien, ça vous dit combien vous êtes un crétin et, nonobstant ce fait, quelle fine intelligence, quelle profonde sensibilité est la vôtre, à vous, vous l’Élu qui avez le privilège de connaître cette musique, de l’aimer, de la jouer, même mal, mais qu’importe. Ça vous piège, vous inonde du sentiment que peut-être vous n’êtes pas irrévocablement perdu. Dieu ne vous aurait pas abandonné, ta ta tam ? Même si vous pensez avec Cioran que Dieu doit tout à Bach, et non l’inverse, cette musique qui ébranle votre âme et votre carcasse tout entière vous rend perplexe, creuse fugitivement le sillon du doute.
Tam tam, da ba da ba da ta ta, ta ta, ça vous poursuit, mais non, c’est vous qui vous tuez à courir après ce flux d’accords qui semble ne jamais devoir s’arrêter, vous laissant toujours orphelin et cependant tout plein de lui. C’est implacable presque martial mais cela déborde de désinvolture arrogante, c’est désincarné, et ça met vos sens en pagaille. Et puis il y a aussi quand même, si, si, si, il faut être honnête, il y a sans conteste ce truc très boche, très carré, une forme de parfait ordonnancement germanique, eine perfekte Bestellung, rien qui dépasse, les notes à leur juste place, se dévidant au pas de l’oie.
Il a eu le malheur de dire ça récemment à un dîner de cons, et tout le monde a bien ri. Il a aussitôt protesté de son absolue sincérité ; ça a jeté un grand froid. Une des bonnes femmes est d’origine allemande, lui a bavé son voisin de table au creux de l’oreille, et Renaud a répondu que c’était précisément la raison de sa remarque, puis il s’est levé solennellement, s’est excusé auprès de la Teutonne, a porté un toast au génie allemand, à Bach et à ce cher Nietzsche. Cela n’a pas vraiment détendu l’atmosphère et on lui a fait comprendre qu’il valait mieux regagner son chez-lui. Il avait refusé un taxi, était reparti à pied par les rues détrempées, transi et titubant, se maudissant d’avoir accepté l’invitation de ces parvenus qui avaient fait fortune dans le nettoyage industriel.
Il entend des pas dans l’escalier. C’est Staline qui arrive avec son plateau d’argent où trône la cafetière fumante en vieux Sèvres, ainsi que la tasse et la soucoupe assorties. Staline et son groin hypocrite, son tablier blanc immaculé, son haleine de fleurs pourries et ses gestes d’une servilité congénitale. Il avait donné ce surnom à la domestique quand il avait sept ans, juste après qu’elle l’avait enfermé pendant trois heures seul dans la cave, plongé dans une obscurité totale. C’était la punition qu’elle infligeait à Renaud pour avoir laissé entrer un chaton abandonné dans la cuisine. Malgré la peine et l’amertume, frémissant d’effroi dans le sous-sol glacial, son cœur blessé d’enfant instruit avait quand même préféré Staline à Hitler. Il aurait pu choisir Franco, car Angèle et le tyran étaient de la même race de bouffeurs de paëlla, de joueurs de castagnettes et de sacrificateurs de taureaux. Mais Franco ne lui semblait pas assez cruel pour soutenir la comparaison avec la bonne.
Hiiiiiiiii ! Combien de fois lui a-t-il demandé de graisser les gonds de la porte de sa chambre ? Voici que pénètre dans la pièce le plateau étincelant, surmonté par la formidable paire de seins inutiles. La gouvernante était entrée au service de la famille à vingt ans. Elle n’avait pas eu d’enfants, et guère plus d’amants ; sa bigoterie ne le lui aurait pas permis. Et il était peu probable que le désir se soit jamais frayé un chemin dans cet être qui n’avait d’humain que le nom. Ces appendices féminins monstrueux faisaient dès lors figure d’imposteurs. Avant l’épisode du chat, Renaud avait voulu croire à leur sincérité ; quand Angèle le débarbouillait après le goûter, qu’elle approchait de son torse sa petite tête pour lui enfiler son bonnet, Renaud avait espéré que ce contact moelleux disait d’Angèle quelque chose qu’elle ne montrait pas, mais qui était certainement caché derrière ce vaste poitrail. Une bonté, une douceur qui ne demandaient qu’à s’exprimer, et dont les deux monticules tremblants étaient des témoins silencieux et fiables.
Angèle pose le plateau sur le bureau, verse le café dans la tasse qu’elle vient placer avec onction sur la table de nuit. Elle évite le regard de Renaud, autant que lui le sien, puis va ouvrir les tentures d’un mouvement brusque qui fait crisser les anneaux de cuivre contre la tringle, et ce bruit chasse définitivement le capriccio de Bach de l’esprit de Renaud. Cela lui procure une espèce de soulagement, car lorsqu’il s’éveille avec un air dans la tête, il y a de fortes chances que celui-ci l’accompagne toute la journée et finisse par s’imposer comme une torture. La domestique sort, redescend l’escalier. Renaud dispose des oreillers derrière son dos, boit une gorgée de café et allume une cigarette. Dehors, la rue est silencieuse. Les vacances de Noël terminées, les touristes rendent la ville à sa mélancolie et à cette sorte de torpeur qui la tient en hiver, la berce de brume et de pluie fine, la saoule de rafales gorgées d’embruns.
Faut-il vraiment se lever, encore une fois, encore cette fois ? Se lever et se laver, ou peut-être pas ? Choisir des habits, sortir de la chambre et se rendre dans les autres pièces, affronter la lumière, les odeurs, et Staline, et Jacqueline la cuisinière et Henri, son mari, l’homme à tout faire ? Si seulement… Si seulement Henri avait ce pouvoir : tout faire. Faire disparaître la nausée chaque matin et chaque soir, la lassitude et la tristesse qui s’accrochent à vous comme ces voix inconnues au téléphone, qui tentent de vous vendre une caisse de vin ou une consultation chez une voyante, ces voix souvent féminines à l’accent étranger, teintées de désespoir, de bêtise, de résignation, qui vous appellent depuis le bout du monde et que vous rembarrez comme vous ne chasseriez pas un chien errant. Elles vous tiennent au corps, ces voix, une fois qu’elles ont résonné à vos oreilles, et vous hantent comme l’envie d’en finir. S’il te plaît, Henri, fais disparaître le souvenir de ces voix, le mal de vivre, le bruit des anneaux sur la tringle, la figure ignoble de Staline.
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François avait l'étrange sentiment que rien ne pouvait lui arriver si elle était avec lui. Son mystère le rendait serein. Contrairement à Renaud, encore plus agité que d'ordinaire depuis qu’elle était chez lui. Il semblait accablé par l’attitude de la jeune femme, François sentait combien elle usait ses nerfs déjà fragiles, et il lui arrivait de s'en vouloir d’avoir imposé à son ami de la prendre à son service. p. 129
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Elle se décida un beau matin en s'éveillant, et elle acheta aussitôt son billet pour un vol le lendemain. Avant de quitter la maison, elle visita le cabinet où Renaud rangeait ses trésors, car depuis la première fois qu'il l'avait invitée dans cette pièce elle en avait la clef. Elle ôta le couvercle de verre, caressa la chevelure, la porta à sa joue. C'était étonnamment doux. Les mèches avaient gardé l'odeur de Renaud. Le contact avec cette trace de vie anonyme lui donna l'élan nécessaire pour s'arracher à ce lieu, à cet homme qui restera enraciné en elle comme la conception et la naissance d'Alma, le contact des mains de Pepa, les corps sans vie et les poings en sang, les jours de manque et les mauvaises descentes, la chaleur de Clarisse, le goût du large au sommet de la falaise, la peau de Juan, l'étreinte brutale d'Astrid, les rues de Canterbuty dans la bruine, et toutes les choses, toutes les choses vécues qui, en cet instant, lui paraissent plus réelles qu'elle-même ; des bulles de temps, d'espace, de vie autonomes, si présentes en elle qu'elles semblent devoir lui survivre.
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Le père était une figure encore plus consternante et fantomatique ; ses rares moments de présence généraient une atmosphère de tension insoutenable. L’homme ne vivait que par l’intermédiaire du téléphone, du fax qui turbinait à plein régime dans un grésillement poussif, de divers journaux qui l’informaient des fluctuations de la bourse, et dont il tournait les pages avec une sorte d’agacement méditatif. Rien ni personne n’avait le pouvoir de susciter son intérêt autant que ces trois choses. L’avènement de la téléphonie mobile sonna le glas du dernier vestige de savoir-vivre dont il teintait encore parfois ses rapports avec ses semblables. Il fut un des premiers adorateurs de la petite boîte magique, et il comprit bien avant nombre de ses contemporains l’étendue des avantages liés au caractère portable de l’objet, qui ne le quittait sous aucun prétexte. Le père de Renaud était un avant-gardiste de la connexion, une saisissante préfiguration de l’homme du XXIe siècle.
Lorsque enfin il échappait à l’emprise de sa panoplie du parfait homme d’affaires, c’était tout auréolé de gravité stupide. Il donnait l’impression qu’il venait d’empêcher une explosion atomique ou de trouver un vaccin contre le cancer. Il se frottait les yeux et posait son regard loin, prenait des mines compassées et soupirait, afin que l’on se pénètre de l’importance de sa mission, de son labeur acharné destiné à offrir cette vie de luxe et d’oisiveté à ceux dont il avait la charge. En réalité, il avait hérité d’une grosse fortune qui prospérait grâce à une équipe de financiers et d’avocats redoutables. On ne lui demandait pas grand-chose, seulement une signature de temps à autre. Il était quasi inutile au bon fonctionnement de ses affaires, comme son père avant lui, comme Renaud s’il lui survivait.
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Il les aimait bien, cependant, comme on aime les arbres de son jardin, ou les vieux avec le nez crochu des contes, avec une sorte de crainte respectueuse. En tout cas il les préférait de loin aux snobinards bruxellois et aux parvenus flamands qui constituaient le reste de sa famille.
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Vidéo de Emmanuelle Pirotte
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