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EAN : 9782021114263
368 pages
Seuil (02/05/2013)
4.06/5   421 notes
Résumé :
Publié à l’origine en 1932, le chef-d’œuvre de Joseph Roth, La Marche de Radetzky, dont le titre se réfère, non sans ironie, à la célèbre marche militaire composée par Johann Strauss, relate le déclin et la chute de la monarchie austro-hongroise à travers trois générations de von Trotta. Le destin de cette famille semble indissociable de celui du dernier des Habsbourg : le premier von Trotta, surnommé le « Héros de Solferino » pour avoir, durant la bataille, sauvé l... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (55) Voir plus Ajouter une critique
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Il y a eu ‘Les Buddenbrook', il y a eu ‘Les Thibaut', il y a eu ‘Le guépard', et maintenant viennent s'ajouter les von Trotta à la galerie de ces personnages somptueux qui marquent dans mon panthéon littéraire les grandes figures de la fin d'un monde.
Du geste héroïque du grand-père von Trotta qui sauva l'empereur à Solférino à la mort brutale et stupide de son petit-fils aux confins de l'empire en voie de délitement avec la première guerre mondiale, ‘La marche de Radetsky' sonne le déclin fatal de l'empire austro-hongrois, envisagé sous un angle différent de celui du Monde d'avant de Stefan Zweig, avec un autre avis aussi, mais le sentiment de déréliction est tout aussi puissant.
Je me suis littéralement laissée couler dans ce roman crépusculaire porté par une plume somptueuse évoquant en pointillisme les décors moribonds d'un monde déjà perdu. Je retiens aussi ces pages splendides sur la vieillesse, celle du quotidien du père fonctionnaire, de plus en plus marquée de mélancolie à mesure que grandit son inquiétude pour son fils soldat dont la vie non choisie se délite dans sa lointaine garnison désoeuvrée ; celle de l'empereur également, servi jusqu'à l'absurde par ces trois générations d'hommes qu'il aura anoblis pour leur malheur, et à qui le grand âge a fait perdre jusqu'au sens de sa puissance.
Magnifique !
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Depuis que je suis sur Babelio, j'avais envie de faire la critique de ‘La marche de Radetzky'. Mais ce roman en apparence simple se dérobait. C'est le roman de la fin d'un monde. de la fin de l'empire Austro-Hongrois. du dernier héritier du Saint Empire, de Frédéric Barberousse, des gibelins... Avec lui, disparut une forme d'idéale européen qui datait de Charlemagne. Une vision abandonnée, réduite à la portion congrue, mais qui était toujours là. Et qui, dans son existence, restait la garante d'un certain équilibre européen. le modèle de l'état-nation triomphant prit le relais, et faillit mener le monde à sa perte.

Il faut du temps pour discerner tout cela dans ce roman décrivant un monde à l'agonie. Dans l'histoire de ce caporal, simple fils d'un garde-chasse, devenu ‘héros de Solférino', baron et officier en sauvant la vie du jeune empereur. Puis dans celle de son fils, préfet pour un empereur de moins en moins jeune. Et enfin dans celle de son petit-fils, jeune officier pour un empereur presque sénile, trainant son ennuie dans les villes de garnisons entre alcool, jeux et traditions militaires devenues ineptes. La première guerre mondiale arrive comme une sorte de délivrance. Enfin, le monde va se secouer un peu. La poussière va un peu tomber. On pourra vivre enfin, respirer un air moins épais. Les couleurs seront un peu plus vives, et tout aura l'air un peu plus jeune.

Mais dans les premiers jours du conflit, le jeune officier meurt. Et voici que le roman, qui jusque-là était beau, mais de cette beauté un peu sommeillante des vieux meubles sous la poussière, prend soudain une tournure sublime. La mort du jeune Trotta est sublime. La vie du père ayant appris la mort de son fils est sublime. Tout s'achève avec la mort de François-Joseph. Orsenna est tombée. C'est la fin.

En Bucovine roumaine, la période austro-hongroise reste dans les mémoires comme un âge d'or. Dans les Balkans, ce fut l'une des plus longues périodes de paix.
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« J'aurais bien dit encore, déclara le maire que M. von Trotta ne pouvait pas survivre à l'Empereur. Ne croyez-vous pas, docteur ? Je ne sais pas, répondit Skowronnek. Je crois qu'ils ne pouvaient ni l'un ni l'autre survivre à l'Autriche ? »
Il est facile de présenter ce roman comme celui du déclin et de la chute de l'Empire austro-hongrois, par opposition au titre qui fait appel à la légèreté et la gaité des oeuvres de Johann Strauss. Mais c'est bien plus que cela et s'il est question de la longue et lente disparition du vieil empereur et de son empire, il me semble que c'est avec beaucoup de regrets. C'est aussi à regret qu'on finit, en refermant ce livre somptueux, par quitter les trois von Trotta pour lesquels on ne peut que partager la tendresse que leur porte l'auteur. On peut les trouver froids, rigides, pusillanimes. Mais comment ne pas admirer la modestie et la droiture du grand-père, le « héros de Solférino »? Comment ne pas saluer le moment où le père sort de son confort, boit toute sa honte et consent à s'humilier pour s'en aller quémander « grâce pour son fils ». Quant à ce dernier, le petit-fils tout alcoolique, velléitaire et peu doué pour le métier des armes qu'il soit, sa fin l'absout de ses faiblesses en le rapprochant de son grand-père, lui qui « depuis qu'il avait rejoint le régiment, se sentait le fils de son grand-père et non le fils de son père », lui qui, tout jeune cadet, pensait alors que « mourir au son de la Marche de Radetzky était la plus facile des morts. »
Qui est véritablement le héros ? le grand-père qui sauve la vie de l'Empereur parce que celui-ci se trouve fortuitement à ses côtés au moment où il commet une imprudence, ou son petit-fils, isolé au milieu de nulle part et perdu dans la débâcle du front russe, qui se dévoue pour aller, au péril de sa vie, chercher de l'eau pour ses compagnons sous le feu des cosaques ?
Magistral, superbement écrit, le roman parle d'un temps où les fils obéissaient à leurs pères, où les pères faisaient ce qu'il faut pour tirer d'affaire leurs fils, où l'honneur et la parole donnée avaient un prix. Il évoque avec justesse et beaucoup de tendresse la vieillesse, la mélancolie, ainsi que les longues heures inutiles et désoeuvrées des militaires en garnison qui les conduisent à des loisirs aussi ruineux pour leur santé que pour leurs finances et leur font oublier de se préparer à faire la guerre. Il traite du respect et de l'affection entre le maître et son serviteur (le sous-lieutenant et son ordonnance qui lui offre toutes ses économies, le préfet qui ne se remet pas de la mort de son majordome), entre père et fils, même si elle se dissimule derrière la pudeur et les convenances.
D'une qualité saisissante dès les premières lignes (« Il avait été choisi par le destin pour accomplir une prouesse peu commune. Mais lui-même devait faire en sorte que les temps futurs en perdissent la mémoire. ») et constante tout du long, avec des passages qui confinent au sublime (les dix pages consacrées à l'empereur), ce chef d'oeuvre vous fait tourner ses pages avec l'allégresse de ceux qui défilaient au son de la Marche de Radetzky. Il y a également des pages, qui, cent ans après leur écriture, semblent plus que jamais d'actualité ; comme celles qui concernent les nationalités artificiellement agglomérées dans un empire qui entend les dominer sans réussir à les fédérer (magnifique illustration lors de l'épisode de la fête du régiment le jour de l'assassinat du prince héritier ou le sombre discours du comte Chojnicki « l'Empereur était un vieillard étourdi, le gouvernement une bande de crétins, le Reichsrat une assemblée d'imbéciles naïfs et pathétiques, il disait l'administration vénale, lâche et paresseuse » ). On entend bien que les Hongrois n'ont pas envie de mourir pour les Autrichiens, pas plus que les Slovènes pour les Ukrainiens ou les Roumains pour les Tchèques. Mais soudain, on s'interroge. Cet empire en décomposition ne ressemble-t-il pas terriblement à cet autre empire que se veut être aujourd'hui l'Union Européenne, construction utopique et idéologique dont les fondations s'enfoncent chaque jour un peu plus dans le sable en voulant effacer des nations qui ne le veulent pas ? Quelqu'un a-t-il réveillé le président de la Commission européenne pour l'informer de la disparition de François-Joseph ?
Un moment de lecture formidable pendant lequel l'émotion m'a à plusieurs reprises submergé et l'admiration pour ce roman, truffé de phrases, de paragraphes et de dialogues aussi brillants que les derniers feux de l'empire des Habsbourg, n'a jamais cessé.
Il donne envie de se replonger dans les grandes oeuvres littéraires et musicales de la Mitteleuropa et de se glisser dans les pas du préfet von Trotta lorsqu'il « gravit le chemin droit qui mène au château de Schönbrunn. Les oiseaux du matin exultaient au-dessus de sa tête. le parfum du lilas et du seringa l'étourdissait. Les blanches chandelles des marronniers laissaient tomber ça et là un petit pétale sur son épaule. Lentement, il monta les marches plates et rayonnantes, déjà blanches de soleil matinal. le factionnaire salua militairement, le préfet von Trotta entra dans le château… Il attendait dans la grande pièce précédant le cabinet de travail de Sa Majesté, dont les six grandes fenêtres arquées, aux rideaux encore tirés, comme il est d'usage le matin, mais déjà ouvertes, laissaient pénétrer toute la richesse de l'été à son début, toutes les suaves senteurs et toutes les folles voix des oiseaux de Schönbrunn. Par les fenêtres ouvertes, on entendit sonner de lointaines horloges. Alors soudainement, la porte s'ouvrit à deux battants…»
Alors, vous je ne sais pas, mais moi, après la lecture enthousiasmante de ce chef d'oeuvre, je me vois très bien monter prochainement les marches de Schönbrunn en sifflotant les premières mesures de la Marche de Radetzky.
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La Marche de Radetzky est indéniablement un roman historique, témoignage de grande valeur de la fin de l'empire austro-hongrois, de son apogée en 1859 à la décadence, accélérée par la la 1ère Guerre mondiale.

Cette marche, à contre-pied de celle de Johan Strauss pleine d'entrain, débute avec la défaite de Solferino, et la "création" d'un héros pour les livres d'enfants... toute la suite de l'histoire décline ce même thème : au-delà de l'apparente réussite d'une famille entrant dans la vie aristocratique et superficielle des soutiens au régime, l'illusion de cette société de pacotille se fend, et les personnages se retrouvent face à un abîme, où tout idéal disparaît, avant d'y sombrer effectivement, avec ce régime, dans la Guerre.

Considérée comme "décadente" par les nazis, l'écriture de J. Roth m'a semblé au contraire assez "classique". J'y ai trouvé des longueurs, comme dans les romans-fleuves de Flaubert, Proust ou Balzac. Mais par son thème et le traitement psychologique des personnages, je le situerais autant stylistiquement que géographiquement -ce qui n'est sans doute pas un hasard- entre le Désert des Tartares du vénète D. Buzzati et la veine slave de Dostoïevski. Enfin, le déracinement de J. Roth est omniprésent dans son roman, ce qui le rapproche rapproche de Kafka, autre auteur de langue allemande mais à l'âme slave, juive, multiculturelle par obligation, caractéristique des écrivains de cette Europe de l'Est "explosée" par L Histoire en ce début de XXème siècle.

Du rapport avec D. Buzzati et Kafka on retiendra l'amertume et le cynisme qui transparaissent dans "'l'observation" des personnages. Passifs, prisonniers de leurs rôles sociaux, ceux-ci paraissent en effet plus observés par le journaliste J. Roth, que réellement mis en scène. Ses personnages, sans se l'avouer, s'ennuient, désespèrent, luttent en vain pour exister. L'affection de l'auteur pour sa patrie multiculturelle et ses personnages inspirés de son vécu est sensible, mais il met cependant une distance, comme pour se protéger de sombrer lui aussi dans l'inertie et la déliquescence. L'armée et la bureaucratie semblent les seuls remparts, bien fragiles, d'un empire finissant, autour du culte d'un Empereur omniprésent, mais en réalité simple icône désincarnée.

A certains égards, on peut aussi rapprocher J. Roth de Dostoïevski, par son questionnement sur l'identité nationale, et par le ton : derrière la description aseptisée les personnages bouillonnent à l'intérieur, dans leur inconscient profond, leurs gènes. Les personnages de J. Roth, "enrôlés" dans l'opérette autro-hongroise mais puisant leurs racines juives et slaves dans les campagnes de Galicie sont, au même titre que leurs cousins russes, cet "homme de trop" pour l'Europe, dont parlait Tourgueniev, déchiré entre l'orient et l'occident.

Malgré ces richesses, je n'ai retrouvé chez J. Roth ni la force De Balzac ou Dostoïevski, ni le surréalisme de Buzzatti, ni l'absurde métallique de Kafka, qui ont fait de ces lectures un plaisir à 4 ou 5 étoiles. La lecture de ce roman m'a intéressé, mais pas passionné ; comme je l'ai lu dans un article de M-F Demet, J. Roth reste donc pour moi un "auteur marginal", enrichissant mais pas incontournable. Je remercie néanmoins les amis babeliotes qui me l'ont fait connaître.
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« En Charles-Joseph se réveillaient les vieux rêves puérils et héroïques, qui, aux vacances, sur le balcon paternel, l'envahissaient et le comblaient de bonheur, aux accents de la Marche de Radetzky. Le vieil empire défilait sous ses yeux, dans toute sa puissante majesté. Le sous-lieutenant pensait à son grand-père, le héros de Solferino, à son père, dont l'inébranlable patriotisme était comparable à un petit mais solide rocher parmi les hautes montagnes de l'omnipotence habsbourgeoise. »

Les Trotta doivent tout à l'empereur d'Autriche, François-Joseph : un coup d'éclat du grand-père à la bataille de Solferino aura pour conséquence l'anoblissement de cette famille d'origine paysanne. le fils du héros sera préfet et le petit-fils, Charles-Joseph, sous-lieutenant dans la cavalerie puis dans l'infanterie, aura un destin certes moins brillant, mais tout aussi contraint par cette loyauté attendue et voulue, dont il ne s'échappera pas, malgré ses désirs.

Toute la société austro-hongroise du règne finissant de François-Joseph est terriblement figée dans un passé qui se veut glorieux. Mais même les empires ne durent pas. Et c'est bien à un effondrement attendu qu'il nous est donné d'assister à la lecture de ce roman profond et pourtant accessible.

L'écriture de Joseph Roth m'a semblé exemplaire pour évoquer ces personnages corsetés et malheureux. Autant dire qu'il n'y sera pas beaucoup question de sentiments et encore moins d'amour. Les personnages féminins y sont rares, mais les deux plus importants m'ont marqué par leur liberté de vie. le ton hésite entre nostalgie d'une époque révolue et description foisonnante d'une mécanique mortifère : sens des convenances et de l'honneur avant tout, esprit de caste poussé à l'extrême, antisémitisme des élites. Et pourtant l'auteur donne le sentiment de regretter cette époque.

Ce roman je pense le relire dans quelques années : il est du genre dont ont ne découvre jamais toutes les beautés à la première lecture.
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L'Empereur était un vieil homme. C'était le plus vieil empereur du monde. Autour de lui, la mort traçait des cercles, des cercles, elle fauchait, fauchait. Déjà le champ était entièrement vide et, seul, l'Empereur s'y dressait encore, telle une tige oubliée, attendant. Depuis de nombreuses années, le regard vague de ses prunelles claires et dures se perdait en un vague lointain... Dans sa maison, il trottinait à pas menus. Mais aussitôt qu'il foulait le sol de la rue, il essayait de rendre ses cuisses dures, ses genoux élastiques, ses pieds légers, son dos droit. Il emplissait ses yeux d'une artificielle bonté, véritable qualité des yeux d'un empereur. Alors ses yeux semblaient regarder tous ceux qui le regardaient et saluer tous ceux qui le saluaient. Mais en réalité les visages ne faisaient que passer devant eux, planant, volant, sans les effleurer, et ils restaient braqués sur cette ligne délicate et fine qui marque la limite entre la vie et la mort, au bord de cet horizon que les vieillards ne cessent pas de voir, même quand il leur est caché par des maisons, des forêts, des montagnes. Les gens croyaient François-Joseph moins renseigné qu'eux, mais peut-être en savait-il plus long que beaucoup. Il voyait le soleil décliner sur son empire, mais il n'en disait rien.
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Etes-vous satisfait ? demanda-t-il ensuite au jeune homme ?
_ A parler franchement, répondit le fils du chef de musique, c'est un peu ennuyeux.
_ Ennuyeux ? demanda le préfet. A Vienne ?
_ Oui, dit le jeune Nechwal. C'est que, voyez-vous, monsieur le préfet, quand on est dans une petite garnison, on ne se rend pas compte qu'on n'a pas d'argent !
Le préfet se sentait froissé. Il trouvait qu'il n'était pas convenable de parler d'argent et craignait que le sous-lieutenant n'eût voulu faire allusion à la situation pécuniaire plus brillante de Charles-Joseph.
_ Il est vrai que mon fils est à la frontière, dit M. von Trotta, mais il s'est toujours bien tiré d'affaire, même dans la cavalerie.
Il accentua le dernier mot. Pour la première fois, il lui était pénible que Charles-Joseph eût quitté les uhlans. Cette sorte de Nechwal ne se rencontrait pas dans la cavalerie ! Et la pensée que le fils de ce chef de musique s'imaginait peut-être avoir quelque ressemblance avec le jeune Trotta causait au préfet une souffrance presque physique. Il décida d'accabler le musicien. C'est un véritable traître à la patrie qu'il flairait en ce jouvenceau qui lui paraissait avoir un "nez tchèque".
_ Aimez-vous la profession militaire ? demanda le préfet.
_ Franchement, je pourrais m'imaginer un meilleur métier.
_ Meilleur ? Comment cela ?
_ Un métier plus pratique, dit le jeune Nechwal.
_ Il n'est donc pas "pratique" de se battre pour sa patrie, à supposer toutefois qu'on ait des dispositions "pratiques" ?
_ Mais c'est qu'on ne se bat pas du tout, riposta le sous-lieutenant. Et si on en vient à se battre un jour, alors ce ne sera peut-être pas tellement "pratique".
_ Pourquoi donc ?
_ Parce que nous perdrons sûrement la guerre, dit Nechwal, le sous-lieutenant, et, non sans méchanceté, comme le nota le préfet, il ajouta : Les temps ont changé !
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[...] ... Trois jours plus tard, on mettait dans sa tombe le corps de M. von Trotta. Le maire de la ville de W* prononça un discours. Et comme tous les discours de ce temps, le sien aussi commença par la guerre. Puis le maire dit encore que le préfet avait donné à l'Empereur son fils unique et qu'il avait continué malgré tout à vivre et à servir. Cependant, la pluie arrivait, infatigable, sur les têtes nues des personnes rassemblées autour de la fosse. Un frémissement, un bruissement s'échappaient des buissons, des couronnes et des fleurs mouillées. Dans la tenue de médecin-chef de la territoriale, qui lui était inhabituelle, le Docteur Skowronnek [médecin et ami du disparu] essayait de garder la position martiale du garde-à-vous bien que, en sa qualité de civil, il ne la tînt aucunement pour l'expression d'une piété exemplaire. "La mort n'est pas un médecin d'état-major, après tout !" se disait le docteur. Puis il fut l'un des premiers à s'approcher de la fosse. (...)

Comme il quittait le cimetière, le maire l'invita à partager sa voiture. Le docteur y monta.

- "J'aurais bien dit encore," déclara le maire, "que Monsieur von Trotta ne pouvait pas survivre à l'Empereur. Ne croyez-vous pas, docteur ?

- Je ne sais pas," répondit Skowronnek. "Je crois qu'ils ne pouvaient, ni l'un, ni l'autre, survivre à l'Autriche." ... [...]
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Mon deuxième de Joseph Roth après Job, le roman d'un homme simple dans lequel il relate la vie des communautés juives à travers la vie d'un maître d'école...vivant sa foi dans les épreuves jusqu'à s'épuiser et à renier Dieu comme un Job dans tes temps modernes, appelant même Dieu "ispravnik" le comparant ainsi au chef de la police du temps tsars...même avec ce titre très évocateur, l'auteur arrive à maintenir un suspens, à pousser le lecteur à poursuivre jusqu'à une fin palpitante et heureuse...Comme dans ce roman, la "marche de Radetzky" est un ragrd lucide sur un monde qui disparait dans cette histoire d'une famille relatée sur quatre générations sous la monarchie Austro hongroise. L'auteur y brosse le portrait critique et satirique de cette monarchie en relatant l'histoire de la famille "TROTTA" qui s'élèvera grâce à un acte de bravoure du jeune lieutenant TROTTA en sauvant un emprereur très maladroit qui a failli se faire tuer lors de la Bataille de Solférino...L'empereur reconnaisant anoblit TROTTA, la génération suivante vivra avec le flambeau de ce geste jusqu'au déclin annoncé de la monarchie...il y a dans ce recit une forme de nostalgie qu'on retrouve dans le premier roman évoqué plus haut...même si l'auteur avance dans l'humour, il n'en reste pas moins que ce sont des tragédies qui s'écrivent au fil des pages...A lire FORCEMENT LES DEUX
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La caserne se trouvait au nord de la ville. Elle fermait la large route bien entretenue qui renaissait derrière le bâtiment de brique rouge et s’enfonçait dans la campagne. La caserne semblait plantée dans la province slave, comme un signe du pouvoir impérial et royal de l’armée des Habsbourg. Elle barrait même le passage à l’antique voie que les migrations séculaires des peuples slaves avaient rendue si large et si spacieuse. La route était forcée de lui céder la place. Elle traçait un arc de cercle autour de la caserne. Quand on était à l’extrémité septentrionale de la ville, au bout de la rue, à l’endroit où les maisons rapetissaient de plus en plus et finissaient par se transformer en huttes villageoises, on pouvait apercevoir, au loin, par temps clair, la large porte voûtée, jaune et noire, de la caserne, présentée à la ville comme un gigantesque écu habsbourgeois, une menace, une protection ou les deux à la fois.
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Vidéo de Joseph Roth
Après avoir parcouru l'Ukraine pour y exhumer les grandes mémoires enfouies de l'autre Europe, Marc Sagnol y est retourné au milieu des bombardements pour en contempler les ruines.
Les images et les mots, comme une invitation au voyage, nous plongent dans des mondes évanouis, sur les traces des grands penseurs d'autrefois. Avec lui, on arpente la terre noire de l'Est à travers villes et villages, aux côtés De Balzac, de Joseph Roth en Galicie et Bucovine, de Leopold von Sacher-Masoch à Lemberg-Lviv, de Paul Celan à Czernowitz…
C'est en connaisseur de la philosophie et de la littérature que Marc Sagnol traverse les « terres de sang » abîmées par tous les chaos. Terres qui furent celles de la plus haute civilisation et des plus grands malheurs. Quelle fut la culture juive, jadis florissante en ces lieux, et qu'en a-t-il été de sa disparition dans la Shoah ? Qu'est-il advenu de ces mondes révolus ? Comment penser la tragédie d'hier au regard du drame d'aujourd'hui ? Une plongée dans les siècles pour dire que notre destin se joue d'abord là-bas. Actuelle parce que inactuelle, une grande fresque littéraire. Un récit d'exception.
Germaniste, philosophe, Marc Sagnol est l'auteur de nombreux ouvrages dont Tragique et tristesse. Walter Benjamin, archéologue de la modernité, primé par l'Académie française, ainsi que d'un film sur Paul Celan, Les eaux du Boug.
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