Un cercle d’hommes. Au milieu, une femelle-serpent. Les hommes qui composent ce cercle sont en proie à la peur, à l’inquiétude et à l’anxiété, sentiments qui rendent les contours du cercle irréguliers, brisés, comme pris dans une tornade. Sous l’emprise de la peur, les poings serrent convulsivement le pommeau des cannes et les haches tremblent entre les mains. Chaque mouvement est désormais placé sous le signe de la nervosité, et la méfiance est le mot d’ordre général, tant on redoute un acte imprévisible de la part de la femelle-serpent. Celle-ci a conscience que les hommes engagés dans sa traque sont mus par une haine enfouie, une répulsion instinctive qui pourrait les amener à la tuer – exactement comme ils ont auparavant tué son compagnon mâle –, la tuer avant qu’elle ne réclame la vengeance pour laquelle elle est venue. Un marmonnement mystérieux s’échappait du groupe, sans qu’on puisse en déterminer précisément la nature, ni même en deviner la provenance. Emanait-il des hommes tourmentés, ou bien des ondulations du corps de la femelle-serpent, un marmonnement étouffé qui prenait la dimension d’un bourdonnement de colère, celle-ci était sur le point de se cristalliser mais un seul regard de part et d’autre a suffi à empêcher sa formation, pour ne laisser que le marmonnement indistinct d’un animal résigné.
C’est par ce chemin qu’était arrivée la caravane de son père, du temps qu’il était enfant, mais aucune autre ne l’avait emprunté depuis. Tout au long de ces années passées dans le ravin, le chamelier avait tenu à venir régulièrement s’asseoir sur ce promontoire pour guetter son père, sans jamais manquer un seul jour…
il était une fois un garçon et une fille, un ravin et des moutons, un chameau et une femelle-serpent, et des mauvais esprits, et un lieu qui rassemblait des créatures liées par le sang et le feu
Mourant de soif, une caravane bédouine erre dans le désert : son guide, le sage de la tribu, a confié à son fils la garde du chameau "porteur d'eau", mais celui-ci, profitant d'un moment d'inattention du garçon, disparaît dans la nature. Quelques jours plus tard, comme par miracle, la caravane se retrouve dans un ravin à la végétation luxuriante où elle s'approvisionne en eau avant de poursuivre son chemin.
Cependant, pour le punir, ou peut-être pour lui permettre de se racheter, le cheikh oblige son fils à rester sur place en compagnie d'une chamelle blessée... Ainsi commence, telle que la rapportent les anciens, la légende du chamelier : son mariage avec la fille du berger enlevé par les djinns, l'aménagement par ses soins du ravin et, surtout, son engagement de bon voisinage avec le peuple des serpents.
Le réalisme fantastique d'Aboukhnegar se situe au croisement de trois traditions : la mythologie de l'Egypte ancienne, les légendes bibliques et leurs prolongements coraniques, l'étrange et le merveilleux araho-musulmans. Aussi ce roman peut-il se lire à la fois comme un conte populaire et comme une fable philosophique sur le péché originel, la chute et l'impossible rédemption.