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Citation de babounette


 Anonymous
Un voyage en poésie

Pour voyager en poésie
n'attardez pas vos yeux, Mesdames et Messieurs
sur le bateau dans la bouteille
immobile cinglant sur l'écume de marbre
d'un dessus d'armoire de salon
à côté de la muse d'albâtre
muette au milieu de la rumeur
littéraire de la saison
son regard blanc cherchant demeure
sous les plâtres du plafond

Laissez passer au large, insubmersible esquif
sinon à la dent dure ultime du récif
la bouteille à la mer
où de son île de carte postale
si ce n'est de timbre-poste
un famélique ego dédicace à l'écho
les mots les mots les mots partis à la dérive

Ne vous dédouanez pas à exhumer du givre
dûment estampillée de lune
la bouteille d'eau de mer
qu'en vertueux tribut à tous les bateaux ivres
abysses d'absinthe ombilics de cyclones
on débouche un peu à distance
de peur que la tête vous danse
comme bouchon dans l'écume
d'un fauteuil à la mer

Pour voyager en poésie
prenez d'abord une bouteille
à la mesure de l'horizon
pour y mettre la mer immense
en même temps que le bateau
et le message du naufragé
puis jetez le tout
à la mer profonde

Et s'il vous chante de me suivre
entrez vous-mêmes dans la bouteille
à la mesure de l'abîme
où dans la bourrasque à l'écho brisé d'un refrain d'enfant vogue encore
le petit bateau qui avait des jambes pour aller sur l'eau
et depuis longtemps a perdu pied dans l'homme

Et sur le pont dansant descendons doucement
au rythme capricant de votre propre pouls partenaire hésitant de la houle
dans la cabine du poète
juste au-dessus et au-dessous de la ligne de flottaison
de la raison
avec la table de coquillages pour le mixage des voix de la mer
hurlante dans les écoutilles
le hublot sous-marin dans le rêve éveillé
où les bancs de poissons obnubilés et versatiles
configurent à leurs jeux magnétiques la phrase
qu'à l'instant déformate la métaphore hardie
au fracas du papier froissé que la lame
jette au panier du creux de la vague
écume écume écume des mots
où par la brèche inévitable entrent les crabes en jaquette
qui procèdent de biais au greffe pointilleux du transversal mystère
poésie poésie où voyage et naufrage
ne sont qu'une seule et même traversée
bateau qui d'avoir pris la mer à bord fait eau de toute part
et touchant terre enfin va gésir par le fond

Vous resterait-il quelques doutes
accompagnez-moi dans les soutes
où parmi les cartons crevés
dans l'impalpable vermoulure
des pages infestées de mots
sous la moue étonnée des poissons
la conque aux lèvres dentelées livre à votre oblique attention
dépassant de peu de la bouche d'ombre
le message sans destination
et totalement dédié
exactement inachevé
soumis à la lecture approfondie de l'eau
à l'amère expertise du sel
afin qu'en soit confiée la clé
au greffe sourcilleux des crabes de la crique
par qui l'auteur fut dévoré

Mais avant d'embarquer vous aurez mis dans la bouteille
à la mesure du firmament
le sable de l'île déserte
où viennent aborder les barques de papier pliées de main d'enfant dans des pages de dictionnaire
arrachées à la bibliothèque en détresse
vocables sauvés des eaux dans le langage réabreuvé
au babebibobu des vagues sur la plage
parmi les coquillages au sibyllin sourire où d'enfantines voix répètent
la mer qui danse autour de l'île
entraînant dans la ronde les crabes à lorgnons arpenteurs du mystère
sous la dune en chemise de sable
et les poissons en nuées frivoles émulant la parade infinie des étoiles
s'éprennent de la lune sous la robe de houle
et rien dans le murmure du flux et du reflux à la marge d'écume du silence ne
s'oppose
au baiser sacré de la nacre
et de l'araignée de mer
au rendez-vous du bernard-l'ermite logé sous un crâne
et de la méduse en casquette de capitaine

Réveillez-moi Messieurs Mesdames
ce sont là songeries auxquelles ne peut s'éterniser au sablier de la marée
la vague bayadère en tablier de balayeuse qui s'éreinte sitôt levée
quand passent les crabes collecteurs des poissons crevés des mauvais rêves des pêcheurs
et sur le sable sale un poste de radio coquillage bruyant de la rumeur du monde
crachant l'écho brouillé d'autres tempêtes
incite les poètes à tremper quelquefois leur plume un peu tremblante et pour cause
en tout exercice de leur ministère des pas de côté sur le territoire à jamais insoumis du réel
et des communications sans rime ni raison
que celles du poème
dans l'encre de poulpe géant de la colère du monde
dont les feux s'allument dans leurs yeux enlunés d'inquiétude céphalopode à se
prendre la tête
pour la folie des hommes

Île déserte ouverte à tous les bords du monde
poésie poésie encore et pour autant
pour autant que le monde tourne
à tous les horizons lisières carrefours
tables mises lits défaits
toutes les saveurs capiteuses toute la douceur entêtée du monde
la délicatesse obstinée
de la vie pas à pas petite fille dans les décombres indéchiffrés du quotidien
bras ballants au bout de la chaîne de montage l'ouvrier remercié au petit matin blême
qui se réveille à poings fermés au cauchemar continué où l'aurore timide
se pare de couleurs de révolte
dans l'aube grumeleuse la pâte fatiguée de la boulangère les bras dans le four
qui relève au chant d'un oiseau la tête sur la plus haute branche
d'un souvenir nommé bonheur
au pas d'un enfant dans le couloir triste
de la vie que l'odeur du pain partagé du jour réenchante
pas à pas la vie au bout de la rue où coquelicots sur champ de blé noir la foule agite les bannières
calicots déployés longs populeux sourires
taillés dans les draps d'un sommeil plus doux
bras dessus bras dessous la vie marée montante
et la vie ce vieillard échoué sur son banc qui regarde passer
de la plage de son île de dessous les pavés la vie
et tous drapeaux repliés la poésie encore
s'engage sous les couleurs d'un coucher de soleil
sur la mer consentante à la nuit

Et tant de réalité à étreindre
que les coquillages observent le silence
et les crabes déposent les yeux
et les poissons sont à quia dans la vague qui se retire
un instant seulement apaisée
sur le sable écume bue
où dans un petit bruit d'infinitésimal roulement de tonnerre
s'imprime déjà, si vous m'avez suivi
la trace de vos pas.

Pierre Ergo / 30-11-2012
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