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Citation de EtienneBernardLivres


La voici ! La voici ! Et l'homme de disparaître, de saisir un vêtement blanc de femme, et d'amener sur le rivage une victime du crime ou du désespoir.

Voyons, dit Ernest, ce visage de noyée : a-t-il conservé quelque trace de la dernière pensée qui porte un malheureux à ce dernier acte de folie ?
Il s'avance, il contemple une jeune femme pâle et sans contraction ; ses paupières commencent à être un peu violettes ; ses traits sont si délicats qu'ils sembleraient appartenir à l'âge de l'enfance ; quel dommage ! Qu'elle était belle !

Mais déjà on l'a mise sur la civière et couverte d'un long voile, et l'on s'achemine vers ce dépôt transitoire de la mort, asile accordé au cadavre anonyme, jusqu'à ce que l'amour, l'amitié, ou les liens du sang viennent le réclamer.

Déjà le cortège était loin ; Ernest n'entendait plus que les commentaires de la foule qui s'écoulait.

Qu'elle était belle ! se répétait-il encore ; si jeune, déjà livrée à ce désespoir ; cette folie du malheur qui, ôtant la faculté de rien combiner ni ici ni ailleurs, force à l'anéantissement de son être !

Je voudrais revoir cette femme ! Si j'allais à la Morgue ?... Allons à la Morgue !
Et le voilà doublant le pas pour aller interroger une dépouille morte, une vile pâture de la terre.
Le soleil commençait à s'abaisser à l'horizon, les rues étaient moins encombrées ; plus il avançait, plus il les trouvait désertes.

Enfin il est en face d'un monument dont l'aspect seul doit révéler l'usage ; il s'approche d'une grille, ses yeux plongent dans le fond d'une enceinte peu vaste ; plusieurs pierres noires en forme de tombes supportées sur des consoles, sont près les unes des autres, et assez élevées pour être aperçues des curieux ou des gens intéressés à ce qu'elles recèlent.

On voyait trois cadavres étendus sur trois de ces pierres ; ils étaient presque nus ; les vêtements de chacun avaient été suspendus sur leur tête ; un de ces cadavres commençait à se décomposer : sa couleur livide témoignait qu'il était là depuis plusieurs jours ; personne n'était venu reconnaître un fils, un mari, un père ; son histoire, comme son nom, allait être ensevelie à jamais.

Le second portait les marques d'une blessure assez récente.

Le dernier cadavre, c'était cette jeune femme ; son beau visage se colorait des derniers feux du jour : elle semblait endormie.

Je ne sais quelle mollesse régnait dans son corps et ses membres ; on avait peine à croire qu'elle fût privée d'existence ; les longues tresses dorées de ses cheveux étaient rassemblées sur son sein ; ses petites mains tombaient sans raideur des deux côtés de la pierre ; malgré la mort, elle était ravissante de forme et de grâce.

Qu'elle était belle ! se répétait le jeune homme.

Cependant elle doit appartenir à une classe aisée, car tout annonce chez elle que nul travail pénible n'a occupé ses jolis doigts, et ses pieds d'enfant n'ont jamais dû fouler que le tapis moelleux ou les fleurs de la prairie.

Mais personne ne s'achemine vers ce lieu ; sans doute on la cherche, on s'inquiète, on n'ose la pleurer encore.

Si je la réclamais ; si je me disais son frère, son ami ! au moins je lui donnerais les honneurs de la sépulture ; mais Dieu ! Dieu ! qu'elle est ravissante ! Et ses yeux la dévoraient avec une ardeur mêlée de respect et de regret.

Mais il lui a semblé qu'un léger mouvement de son sein... !

Impossible, illusion, fascination de regard !... Ciel ! Ses mains s'agitent, ses lèvres ont remué, ce n'est plus une erreur des sens.

Madame ! Mademoiselle ! n'ouvrez pas les yeux, ne voyez pas où vous êtes, je veille sur vous, je vais vous délivrer.

En une seconde il est suspendu à la sonnette du gardien des morts.

— Au secours ! au secours ! elle n'est pas morte !
"Quoi donc ?" répond une voix rauque ; et un homme d'un extraordinaire embonpoint, d'une figure rouge et impassible, descend lentement les marches d'un escalier qui donne dans l'intérieur même de la Morgue.

Ernest s'est précipité sur ses pas.
— Hâtez-vous donc, hâtez-vous donc, misérable ! il ne faut pas qu'elle voie ces cadavres.

(…)
Ernest se saisit du précieux fardeau, et suit le gardien dans une petite chambre étroite et sombre où il y avait pour tout meuble un fauteuil de paille, une table et un lit fort propre.
— C'est la chambre de ma femme ; elle est absente, monsieur ; mettez cette pauvre petite dans son lit ; les draps sont blancs et fins.

Il la pose doucement dans ce lit et lui prodigue les secours que son intérêt, de plus en plus croissant, lui suggère.

Un médecin qu'il avait fait demander arrive au moment où l'inconnue s'agitait avec violence ; il emploie les remèdes de son art pour rappeler la vie dans ce corps qui s'efforçait de la ressaisir.

Un léger coloris venait de se répandre sur cette forme d'ange, mais s'était évanoui comme ces fugitifs nuages roses dans un ciel mobile du couchant.

Cependant, à force de soins, l'inconnue reprit ses sens ; elle ouvrit de grands yeux qu'elle dirigea vers le ciel, puis s'étant soulevée, elle s'écria avec anxiété : "Non ! non! Où fuir ? Mon père, grâce, pardon ; tuez-moi ;" et elle retomba sans force sur son oreiller.

Ernest, à genoux, se saisit de sa main, et la pressant de ses lèvres et sur son cœur :
— Ne craignez rien, nous aurons soin de vous ; je vous veillerai, je vous rendrai à votre famille.
— Ha ! ne me rendez pas !
Et elle jeta un cri déchirant et s'évanouit de nouveau : on eut de la peine à la faire revenir.
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