Souillé par l’âge et la poussière,
Se dresse le haut monument
Élevé après la Grand’guerre
Mangeuse d’enfants et d’amants.
Une immense femme d’airain
Enlace un grand soldat qui dort ;
Elle a posé ses longues mains
Sur le front glacé par la mort
D’un homme encor jeune et barbu
Et que le ciseau du sculpteur
A représenté presque nu.
Soustraits au temps profanateur,
Depuis presque un siècle ils sont là
Et l’on s’y est habitué.
La guerre, la mort et tout ça,
C’est tous les soirs à la Télé …
Mais un jour quelqu’un a hurlé
Car le soldat n’y était plus ;
Son corps tout désarticulé
Avait bel et bien disparu !
Il ne restait sous les deux mains
De la femme désespérée
Que la statue nue d’un gamin,
Le bébé qu’il avait été.
Sur les genoux gris de la mère
Ne restait plus que l’effigie
D’un enfant. Mort à la guerre,
C’était celle de son petit…
Alors le passant s’est enfui.
Jour d'orage
La montagne flamboie. Le temps est à l’orage,
Et sur les hauts sommets un voile de vapeur
Flotte tel un rideau. Serait-ce point la peur
Qui m’oppresse si fort ? Il y a un mirage
Au-dessus de l’Ubaye, qui irise ses eaux
D’un halo de couleurs. Et cette onde si fraîche
Dévalant de là-haut dicte à ma bouche sèche
Un désir de sorbet… Plus aucun chant d’oiseaux :
L’orage est imminent, et c’est sûr qu’ils se cachent
Avant que ne fulgure un tout premier éclair.
Là-bas, vers Entrevaux, le ciel est encor clair,
Mais avec à l’Ouest une traînée qui tache
Son bleu couleur d’été d’un long dégueulis roux.
La montagne se tait et le ciel lourd suffoque ;
Tout semble pétrifié, quand les nues se disloquent
En fragments lumineux. Brusquement, d’un seul coup !
Le ciel déverse enfin un déluge de pluie,
Cette pluie le gonflant depuis début juillet.
L’on respire bien mieux, et de l’humus mouillé
Suinte une fade odeur. La chaleur s’est enfuie…
La montagne rutile et brille sous le soleil.
On la dirait repeinte à grands coups de pinceau
D’émeraude et d’or frais ruisselant à pleins seaux.
L’astre-roi redéploie son gros disque vermeil.