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Citation de PetiteBichette


Je me suis rappelé, avec Romain, les premiers mois de Nina, comme la fatigue nous avait transformés en animaux. Ou m'avait transformée en chienne en tout cas, lui je sais pas. Au début, quand je me levais la nuit pour m'occuper de la petite, j'avais un regard attendri sur mon homme, profondément endormi, si beau, si inoffensif. Ça avait duré une dizaine de jours, après quoi la tendresse s'était muée en agacement, puis en haine pure. La privation de sommeil m'a amenée aux confins de la raison. Nina n'a pas dormi plus de trois heures d'affilée jusqu'à ses deux ans. Romain travaillait à l'époque, pas moi. C'était la raison qu’il invoquait pour se débiner lors des réveils nocturnes. Et puis, si cette enfant ne dormait pas, est-ce que je n'y étais pas un peu pour quelque chose ? Si je l'avais un peu laissée pleurer au début, on n’en serait pas là. Sur le moment, je n'ai pas compris l'injustice. Je n'ai pas réalisé que si je n'avais pas de boulot, c'était peut-être parce que mon CDD de prof n'avait pas survécu à l'annonce de ma grossesse, qu'une fois l'enfant sorti de mon ventre aucune place en crèche publique n'avait pu lui être trouvée, malgré les listes d'attente, les coups de fil suppliants, qu'une place en crèche privée boufferait les trois quarts de mon salaire, alors tu comprends chérie, ça vaut pas vraiment le coup, autant que tu t'occupes de la petite, ça grandit tellement vite à cet âge-là, reste à la maison, profite. J'ai pas réalisé combien j'étais épuisée, que passer ne serait-ce que deux heures loin de mon bébé m'apparaissait comme un luxe inespéré, que sa présence m'arrachait à moi-même, constamment, à mes pensées, m'abrutissait et que ça ne s'arrêtait jamais, pas même la nuit. Alors regarder Romain dormir avec cet air de légitimité tatoué sur le front, comme s'il attendait qu'on le félicite pour sa dure journée de travail, ça m'enflammait parfois les tripes, et Nina somnolant sur mon bras, comment un léopard sur sa branche, mon poids se balançant d'un pied sur l'autre avec une régularité de métronome, j'avais parfois envie de lui lancer à la tête le premier objet venu. Pas pour qu'il prenne le relais. Juste pour qu'il ne dorme pas. Pas tant que je n'y aurais pas droit moi aussi.
(p.212-214)
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