C'est grâce à la lecture de leur dernier né - Totems, ils incarnent un peuple - que j'ai fait la découverte des Ateliers Henry Dougier et notamment de leur collection Lignes de vie d'un peuple. Le principe est simple : un peuple = un mini livre rédigé par un expert. Evidemment, avant de me pencher sur les Ecossais, les Inuits ou les Mexicains (ou que sais-je encore), je me suis offert l'ouvrage sur les Irlandais. Evidemment.
Sitôt acheté, sitôt dévoré et j'ai a-do-ré ! Si tous les titres de cette collection sont aussi passionnants et bien écrits, je ne peux que vous conseiller de vous pencher sur ceux qui vous tentent, vous ne devriez pas être déçus !
Grâce à quatre grands axes, Agnès Maillot - enseignante chercheuse à Dublin City University - nous parle de cette nouvelle Irlande du XXIe siècle, pleine de paradoxes, forte de décennies de conflits, repeuplée par l'immigration massive, affaiblie par la crise de 2008 après une trop courte période d'opulence et de plus en plus ouverte au monde...
La première partie nous fait un petit topo sur les flux migratoires du pays, notamment sur le départ massif de ces millions d'irlandais qui ont fui la terrible famine du XIXe siècle. Aujourd'hui encore, nombre d'entre eux choisissent de s'installer à des milliers de kilomètres de leur patrie, étendant de ce fait un peu plus la diaspora irlandaise dans le monde. A l'inverse, beaucoup d'étrangers ont choisi l'Irlande comme pays d'adoption dans la deuxième moitié du XXe siècle, des Polonais et des Nigerians pour la plupart. Il faut dire qu'il fait plutôt bon vivre sur l'île d'Emeraude et les touristes de n'y trompent pas.
Et pourtant, l'économie n'est pas au mieux de sa forme. Après quelques belles années fastes pendant lesquelles les irlandais ont profité des hausses de salaire, des prix bas de l'immobilier et des prêts des banques pour se construire de véritables petits palaces en plein centre du pays, le Tigre Celtique est en berne : baisse de salaire successive, chômage à nouveau à la hausse, nombreux habitants largement endettés... et cimetières de lotissements à moitié construits un peu partout dans le pays. Il faut faire des économies sur tout et apparemment, le domaine de la santé est le premier à en souffrir. Mais forts de siècles de souffrance, les irlandais ne baisseront certainement pas la tête aussi facilement. Têtu comme un irlandais, paraît-il.
Autre axe majeur de cet essai - le deuxième dans l'ordre d'apparition - le conflit nord-irlandais, toujours bien présent dans les esprits malgré la paix signée il y a à peine quelques années. On découvre avec effroi ici que malgré les apparences, le clivage entre catholiques et protestants est toujours d'actualité et qu'il est plus fort que jamais. Malgré le cessez-le-feu annoncé, les murs de séparation sont de plus en plus nombreux entre les quartiers, amplifiant l'atmosphère de tension et de suspicion entre les deux parties. Nous n'avons que peu d'informations sur le phénomène alors que la France n'est qu'à à peine deux heures d'avion du pays mais il semblerait que les rancoeurs soient loin d'être éteintes dans les coeurs et que quelques échauffourés apparaissent encore au détour des rues.
Enfin, et non des moindres, la dernière partie offerte par Agnès Maillot revient sur un sujet fort en Irlande : la place de l'Eglise. Pays très majoritairement catholique, l'Eglise a pendant très longtemps été à la tête de nombreuses décisions. Aujourd'hui encore, plus de 90% des écoles sont "contrôlées" par l'Eglise (!) et, si la jeune génération s'émancipe petit à petit, la population veillissante garde ses traditions. C'est ainsi que l'avortement reste un sujet tabou en Irlande et je vous rappelle qu'il est toujours interdit sauf en cas de danger de mort pour la mère (loi de l'été 2013) ; les irlandaises souhaitant avorter doivent, encore aujourd'hui en 2015, prendre l'avion ou le ferry pour se rendre en Angleterre, souvent en cachette de leurs proches et y laissant un bon paquet de leurs économies. Mais l'Eglise a perdu un peu de son pouvoir sur les irlandais depuis les années 90, notamment depuis la découverte des scandales la concernant : pédophilie, couvent des soeurs Magdalene (je vous conseille d'ailleurs, si vous ne les avez pas encore vus, les films The Magdalene Sisters et Philomena), ainsi, les mentalités changent et le référendum organisé en 2015 pour légaliser le mariage homosexuel a prouvé que les irlandais, plein de paradoxes, pouvaient aussi être un peuple ouvert aux autres et tolérant.
Vous le voyez, sur moins de 150 pages, Agnès Maillot traite de nombreux sujets de société absolument passionnants. Et si la lecture est aussi fluide et agréable c'est aussi et surtout parce que l'enseignante-chercheuse met en avant des anecdotes et des témoignages d'irlandais. Ainsi illustrer, ses propos gagnent en humanité, en force et en émotions. Vraiment, j'ai adoré.
Je lis assez peu d'essais généralement, parce que la forme du propos, sans m'ennuyer, me tient généralement assez peu éveillée et je finis par papillonner, lisant en diagonale quelques pages par-ci par-là. Ici, j'ai dévoré chaque page, chaque phrase, chaque mot. Toutes les informations ont fait mouche, toutes m'ont paru très claires, simples à digérer. Et j'ai appris énormément de choses.
A noter qu'en plus, pour parfaire un peu les connaissances et continuer dans la découverte, Agnès Maillot a rassemblé quelques informations "indispensables" en annexe, dans les dernières pages. Vous trouverez ainsi une dizaine de dates importantes pour l'Irlande, quelques chiffres-clefs du pays (nombre d'habitants, dimensions...) et aussi quelques noms d'écrivains, de musiciens et de films irlandais qui ont marqué le pays. L'occasion d'aller voir un peu plus loin et je n'y manquerai pas !
Les Irlandais est une réussite complète pour moi. Grâce à ce tout petit ouvrage, les lecteurs trouveront quelques bases intéressantes à développer par d'autres lectures si l'occasion se présente mais pourront déjà se satisfaire de toutes les informations passionnantes délivrées ici par Agnès Maillot.
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