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Citation de oran


oran
27 septembre 2017

Préface d’Agnès Spiquel
Société des Études Camusiennes

« Empêcher que le monde ne se défasse » : l'ardente nécessité dont parlait Camus dans son Discours de Stockholm est plus vive encore aujourd'hui ; et, dans cette vigilance active, la responsabilité des intellectuels est immense. Pour les aider dans cette tâche, ils peuvent se référer à leurs aînés – non pour y trouver des réponses toutes faites, mais pour voir comment ils ont fait, eux, pour penser leur siècle.
Alessandro Bresolin se tourne vers Camus qui eut à affronter l'Histoire de terreur et de sang qui fut celle du XXe siècle. Il ne l'érige pas en professeur de morale politique ; mais il cherche – patiemment – à voir comment la pensée et l'éthique politiques de Camus se sont formées, au contact des événements et d'un réel dont il a toujours refusé de détourner sa conscience, son intelligence et sa sensibilité.
A. Bresolin met son enquête sous le signe d'une pensée fédéraliste à laquelle il adhère depuis longtemps et dont il va chercher les marques dans Camus lui-même : « union des différences » est d'ailleurs la définition que celui-ci donne de la fédération dans Chroniques algériennes, en philosophe qui sait la différence entre totalité et unité, la seconde permettant seule le respect des différences. Ce livre constitue ainsi une bonne initiation au fédéralisme, dans son lien avec la tradition libertaire ; grâce à une documentation fouillée, et bien maîtrisée, il éclaire des pans entiers de l'Histoire ; il retrace le parcours de la pensée fédéraliste, différencie « anarchiste » et « libertaire ». Entre Italie, Espagne, France et Algérie, il dessine le berceau privilégié d'une idéologie méditerranéenne où, avec les traits et difficultés spécifiques à chaque pays, s'épanouit une tradition de liberté dans le refus des centralismes et des verticalités ; c'est à l'aune de cette tradition qu'est relue par exemple la lutte de Messali Hadj contre le colonialisme (et contre le FLN pendant la guerre d'Algérie).
Ces mises au point se font, tout naturellement, dans le suivi pas à pas de la « formation » de Camus : par exemple ses engagements dans l'Algérie des années 1930; ses points de rencontre avec Ferhat Abbas ou sa proximité avec Messali Hadj ; l'influence déterminante d'un homme comme Robert-Édouard Charlier ; ses rencontres et son amitié avec Chiaromonte ou avec Silone. Camus n'apprend pas le fédéralisme dans les livres ; il le découvre à travers des hommes – surtout à ce carrefour essentiel de la guerre qui, dans le brassage forcé des intellectuels, a permis les rencontres où les convergences ont affermi les convictions : la pensée fédéraliste vient renforcer les préventions de Camus contre les nationalismes et préciser son désir d'Europe. Il est fascinant de le voir apprendre peu à peu l'Europe et fonder la pensée politique qui sous-tendra ses articles de Combat puis ses textes et interventions devant la montée de la guerre froide ; qui soutiendra aussi son implication dans les Groupes de liaison internationale.
L'éclairage fédéraliste jette également une autre lumière sur L'Homme révolté ; on pouvait s'y
attendre depuis que plusieurs travaux de ces dernières décennies ont mis l'accent sur les convergences
profondes de Camus avec la pensée libertaire et sur l'abondance de ses publications dans les organes de ce courant. Ce même éclairage est également probant pour une relecture de Chroniques algériennes : sur son versant politique, « Misère de la Kabylie » propose une évolution fédérale de la province, à partir de son organisation communale traditionnelle ; et on comprend mieux ce qui sous-tend la référence, souvent moquée, aux propositions de Lauriol dans « Algérie 1958 ». Se dessine ainsi, chez Camus comme chez les fédéralistes italiens avec lesquels il est en lien et qui tentent eux aussi de penser une issue pour l'Algérie, un schéma de fédération à la fois internet et externe, pour l'Algérie comme pour la France : une Algérie nouvelle, pluri-ethnique et pluri-religieuse, pourrait être bâtie comme une fédération elle-même fédérée à la France et à la fédération européenne, puis à une fédération eurafricaine, avant d'en arriver à la fédération mondiale.
On sourira et on criera à l'utopie comme, dans les années 1950, on a crié à l'aveuglement devant les tentatives courageuses de ces Libéraux qui, avec Camus, ont tenté de promouvoir une Algérie libérée de la colonisation mais plurielle et conservant un lien avec la France dans le respect et « l'union des différences ». La troisième voie, qu'ils ont tenté de frayer entre les solutions de plus en plus extrêmes auxquelles recouraient les nationalistes et les colonialistes, n'était pas celle d'un juste
milieu confortable pour la conscience – mais bien un choix résolu pour la liberté et pour la justice. Leur échec historique n'invalide pas leurs convictions politiques.
Camus voyait dans le nationalisme le terreau des totalitarismes de toutes espèces ; le monde actuelle confirme à l'envi. Ce livre est donc éminemment utile ; d'autant qu'il montre comment une pensée politique s'élabore peu à peu au contact, souvent rugueux, de l'expérience – celle-ci étant sans cesse passée au creuset d'une brûlante exigence, indissolublement politique et éthique
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