« Si vous revoyez mon Edmond, dites-lui que je meurs en le bénissant. »
L’abbé se leva, fit deux tours dans la chambre en portant une main frémissante à sa gorge aride.
— Et vous croyez qu’il est mort…
— De faim… Monsieur, de faim, dit Caderousse ; j’en réponds aussi vrai que nous sommes ici deux chrétiens.
L’abbé, d’une main convulsive, saisit le verre d’eau encore à moitié plein, le vida d’un trait et se rassit les yeux rougis et les joues pâles.
— Avouez que voilà un grand malheur ! dit-il d’une voix rauque.
— D’autant plus grand, Monsieur, que Dieu n’y est pour rien, et que les hommes seuls en sont cause.
— Passons donc à ces hommes, dit l’abbé ; mais songez-y, continua-t-il d’un air presque menaçant, vous vous êtes engagé à me tout dire : voyons, quels sont ces hommes qui ont fait mourir le fils de désespoir, et le père de faim ?
— Deux hommes jaloux de lui, Monsieur, l’un par amour, l’autre par ambition ; Fernand et Danglars.
— Et de quelle façon se manifesta cette jalousie, dites ?
— Ils dénoncèrent Edmond comme agent bonapartiste.
— Mais lequel des deux le dénonça, lequel des deux fut le vrai coupable ?
— Tous deux, Monsieur, l’un écrivit la lettre, l’autre la mit à la poste.
— Et où cette lettre fut-elle écrite ?
— À la Réserve même, la veille du mariage.
— C’est bien cela, c’est bien cela, murmura l’abbé ; ô Faria ! Faria ! comme tu connaissais les hommes et les choses !
— Vous dites, Monsieur ? demanda Caderousse.
— Rien, reprit le prêtre ; continuez.
— Ce fut Danglars qui écrivit la dénonciation de la main gauche pour que son écriture ne fût pas reconnue, et Fernand qui l’envoya.