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Citation de Dorian_Brumerive


- Entre nous, vous avez été d'un brutal !... Pas parlementaire pour deux sous, pour un politique.
- C'est une diversion salubre; cela désintoxique.
- J'ai vu Le Hauturier vous parler après la séance; il a du vous flanquer une de ces saboulées !...
- Lui ? Vous ne le connaissez pas. Il s'est montré très aimable, au contraire. Il m'a simplement dit : "J'ignorais que votre intention fût de renoncer à la députation". J'ai compris.
- Il était sous le coup de votre récente algarade, mais il en reviendra.
- Jamais. Tout ce qui est humainement possible, licite ou non, pour faire blackbouler un candidat, je le trouverai contre moi aux prochaines élections. Et vous savez, les possibilités humaines, cela va loin quand on s'appelle Le Hauturier.
- Mais aussi, quel besoin de vous jeter ainsi à la traverse ?
- Un besoin, Tintoré, vous venez de le dire. Cela ne se raisonne pas.
- Pourtant, vous aviez jusqu'ici fidèlement avalisé ses directives.
- Comme vous, Tintoré. C'est si facile de se laisser anesthésier : on ne réagit pas, on se laisse glisser sur une pente moelleuse; tous les réflexes s'annihilent, et l'on se trouve bien... Si bien ! À condition toutefois de ne pas s'éveiller, parce qu'alors... Quelle nausée !!! Or, récemment, j'ai subi ce brusque réveil.
- Comment cela vous est-il arrivé ?
- En voyant passer des fourmis. - Non, non, je ne plaisante pas. C'était un de ces tout récents matins. J'avais besogné une partie de la nuit sur le dossier d'un gros client : un banquier qui prenait de haut de n'être pas encore en liberté provisoire - l'ordonnance a dû être signée hier. Je m'étais couché tard, avec un peu d'écoeurement. je m'étais levé tôt et m'étais mis à mon balcon pour y baigner une migraine tenace.
J'habite un immeuble moderne poussé dans un quartier demeuré populeux, près de la gare Montparnasse. Il faisait beau. Je regardais la physionomie de la rue. Cela va vous paraître complètement idiot, et je reconnais que ça l'est : il me sembla la voir pour la première fois.
La ville s'éveillait dans une brume ensoleillée, et les fourmis de cette immense fourmilière noircissaient le pavé de la rue matinale. Des fourmis, d'humbles et diligentes fourmis en cache-nez de laine ou en cols de peau de lapin. Les trains les déversaient par grappes sur les quais; leur sinueuse coulée emplissait les trottoirs; la rue les dispersait sans les distraire de leurs buts divergents; les autobus les emportaient par charretées compactes, et le métro engloutissait leurs files impatientes.
Des fourmis, rien que des fourmis, laborieuses, modestes, chacune accrochée à sa tâche, l'acomplissant obscurément, allégrement, avec probité, sans rancoeur, comme une corvée nécessaire, patientes à leur médiocrité et trouvant le moyen de prélever sur elle le grain épargné dont la somme regarnit sans arrêt les greniers du pays.
Et à les contempler ainsi, j'en vins à en évoquer d'autres, d'autres dont j'avais été avant ma léthargie, d'autres que j'avais connues dans leurs galeries de l'Artois. Que dis-je, d'autres ? C'étaient les mêmes. Beaucoup manquaient. Nombre des survivantes portaient la cicatrice d'une mutilation. Mais toutes n'avaient fait qu'échanger leur casque contre une casquette ou un chapeau, comblant les vides de leur semence, et, par un magnifique atavisme, leur naissain perpétuait déjà toutes les qualités de la race.
Des fourmis, je vous dis, Tintoré, des fourmis! De vaillantes et d'opiniâtres fourmis dont on pourra vingt fois saccager la fourmilière, qui vingt fois la reconstruiront et vingt fois la regarniront. Ah ! Les braves petites bêtes ! Comme elles mériteraient que l'on défende leurs greniers !
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