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Citation de KATE92


Premiers paragraphes

Tant que dura la vision de la cabane, sœur Julie de la Trinité, immobile dans sa cellule, les bras croisés la poitrine, dans toute l'ampleur et la rigidité de son costume de dame du Précieux-Sang, examina la cabane en détail, comme si elle devait en rendre compte, au jour du Jugement dernier.

C'était la première fois que, depuis son entrée au couvent, elle se permettait un tel regard, non plus furtif, aussitôt réprimé, mais volontaire et réfléchi. L'intention d'user à jamais une image obsédante. Se débarrasser de la cabane de son enfance. S'en défaire, une fois pour toutes. Et surtout, ah, surtout ! être délivrée du couple sacré qui présidait à la destinée de la cabane, quelque part, dans la montagne de B…, parmi les roches, les troncs d'arbres enchevêtrés, les souches et les far doches.

Un homme et une femme se tiennent debout, dans l'encadrement de la porte, souriant de leur grande bouche rouge aux dents blanches. Le soleil, comme une boule de feu, va basculer derrière la montagne, illuminant le ciel, teignant de rose les mains tannées de l'homme et de la femme. Un petit garçon ouvre sa culotte déchirée, pisse très haut, atteint le tronc d'un pin, dont la tête se perd dans le ciel, visant en réalité le soleil qui va mourir.

La petite sœur l'admire pour cela. Assise sur un tas de bûches, elle fourrage dans sa tignasse pleine de paille, d'herbe et d'aiguilles de pin. Son cou, ses bras et ses jambes hâlés sont criblés de piqûres de maringouins. L'air est parfumé, sonore d'insectes et d'oiseaux.

Sœur Julie voit de tout près l'homme, la femme et les deux enfants, d'une façon nette et précise. La lumière qui baigne la scène devient sensible à outrance, comme les choses uniques qui vont disparaître. Craignant je ne sais quelle blessure qui pourrait lui venir de la lumière, sœur Julie entreprend, pour se calmer, de prendre les mesures exactes de la cabane et d'en faire un inventaire méthodique.

La cabane n'est pas très grande, composée d'allonges successives qui lui donnent un air épars de blocs de bois à moitié mangés par la forêt, posés à des hauteurs différentes, plus ou moins d'aplomb, mal reliés ensemble, sur de grosses roches, en guise de pilotis. Le bloc principal (de quinze pieds sur douze) se reconnaît à sa porte, autrefois rouge, maintenant violette et rose. Les deux fenêtres carrées de chaque côté de la porte sont aussi bordées de la même couleur passée. Il faut monter deux marches de bois usées pour atteindre la porte. Les murs de planches rayonnent gris argenté, doux au toucher, patinés par la pluie, le soleil et la neige, semblables aux épaves que l'on trouve sur les grèves.
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