Ces messieurs le prièrent à dîner, et l'engagèrent dans une conversation qui dura plus de deux heures, et dans laquelle il s'attira toute l'attention du monde, fronda le despotisme, et forma un plan de gouvernement propre à faire la félicité publique. L'hôte et toutes les personnes qui étoient dans ce cabaret en furent charmés, et dans la suite lui firent un crime d'une conversation qu'ils avoient admirée.
Persuadé, comme le dit saint Jacques, que la langue est la source des plus grands maux, il résolut de tenir la sienne en bride, et fut se jeter pour cela parmi les anachorètes modernes, dont la vie est si extraordinaire, et auxquels la pénitence d'un abbé autrefois très-mondain a fait donner des règles si austères, qu'elles sont presque au-dessus des forces de la nature humaine, capables de faire succomber le corps sous les efforts que l'esprit est obligé de faire pour les accomplir.
Je ne puis que vous remercier de vos bontés, madame, et de l'assurance que vous me donnez de vouloir bien me les continuer jusqu'au bout, en finissant l'histoire des aventures de l'abbé de Bucquoy. Elles me paroissent assez extraordinaires jusqu'ici, et j'attends sa sortie de la Bastille, avec impatience. Il me semble que c'est la fin qui doit couronner l'œuvre, et qu'elle est effectivement le chef-d'œuvre de sa prudence et de sa résolution.
Les Jésuites, étonnés de sa faconde, tentèrent de l'attirer à leur ordre ; - on l'arrêta et on l'incarcéra à cause de son intempérance de langue ; - à l'étranger, il surprit par son flux de paroles, dont il tirait vanité après avoir en vain entrepris de le contenir.
Si cet original fait du chemin chez les Anglois comme parmi nous, ce projet suivi, je vois dans peu monsieur de Bucquoy l'un des hommes du monde le plus célèbre, quelque espèce de Jehu ou l'Hercule du temps.
Visionnaire, utopiste, pamphlétaire, théologien et grand parleur, l'abbé de Bucquoy n'est resté intéressant que par ses évasions du For-L'Evêque et de la Bastille.