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Citation de annielavigne


Un après-midi blafard du mois des morts, Scatach prit à part le groupe d’Avana et l’emmena à l’extérieur. Ils se rendirent au centre de la plaine où la brume s’accrochait aux hautes herbes. Le soleil était tapi derrière de gros nuages sombres et une fine pluie se mit à tomber.
– Cette plaine a vu couler le sang de mes ancêtres ! s’exclama-t-elle d’un ton solennel. Des milliers d’hommes sont morts ici. Si vous ouvrez votre cœur et écoutez avec recueillement, vous les entendrez. Percevez-vous le cliquetis des épées qui s’entrechoquent, le fracas des haches qui fendent les boucliers, la longue complainte des guerriers dont le sang vient nourrir la terre et le vent, éternel, qui souffle sur cette scène pour la balayer dans le passé ? Entendez-vous le murmure du vent, qui a amené la mort, qui a caressé les lèvres des hommes à l’agonie ? L’entendez-vous qui vous chuchote que l’histoire se répète si les hommes ne font rien pour ouvrir leur cœur ?
Avana balaya la plaine des yeux. À l’autre extrémité, là où la brume était la plus dense, elle entrevit une silhouette, une deuxième… Lentement, des dizaines et des dizaines de guerriers farouches sortaient du brouillard magique au son de la cornemuse. Malgré la distance, elle pouvait voir la fureur haineuse qui enlaidissait leurs visages crispés. Ils venaient pour vaincre. Ils venaient pour massacrer leurs ennemis, pour prendre leurs terres et attendre… attendre que l’histoire se répète.
– Valmir et Avana ! dit Scatach en la tirant de sa rêverie. Je veux que vous vous battiez jusqu’à ce que le perdant nourrisse la terre de mes ancêtres de son sang !
Avana acquiesça d’un signe de tête. Elle scruta de nouveau l’horizon. Là où s’était trouvée l’armée, il n’y avait plus rien que les hautes herbes qui frémissaient sous le vent. Pourtant, elle était certaine de ne pas avoir rêvé. Ces guerriers scotts écumant de rage étaient trop réels pour être sortis de son imagination. C’était à cause du brouillard. La brume avait créé une brèche dans le temps, ramenant devant ses yeux ces scènes du passé.
– L’histoire se répète… murmura-t-elle tout bas.
La vue de ces guerriers avait fait remonter en elle le souvenir de son propre peuple, le souvenir des chevaliers de la Branche rouge qui revenaient des grandes batailles contre le Connaught meurtris, mutilés, pressant leurs plaies qui saignaient abondamment et jurant qu’ils vengeraient la mort de leurs pères, de leurs frères, de leurs compagnons.
Mue par sa soif de revanche, elle dégaina son épée et se retourna vers Valmir.
– Tu veux vraiment que je souille cette terre de ton impur sang d’Ulate ? se moqua-t-il.
À cet instant, toute la haine et la frustration qu’elle avait accumulées depuis près d’un an sortirent en un long hurlement. Valmir eut juste le temps de dégainer son épée et de la porter devant lui. La lame d’Avana frappa la sienne avec une telle vigueur qu’il recula. Elle n’avait jamais ressenti une telle fureur en elle. Elle était enragée. Désormais, elle avait confiance en sa force et avait l’intention d’en faire la démonstration. Ce combat n’était pas seulement un règlement de comptes entre elle et lui. Elle voulait aussi venger ses ancêtres qui avaient perdu la vie sur les terres du Connaught.
Du coin de l’œil, elle vit Loeg revenir en courant de la forteresse, tous les garçons sur ses talons. Ils formèrent un demi-cercle pour les observer. Ranthor la contemplait avec tendresse et fierté. Scatach souriait. Puis Avana oublia tout ce qui se passait autour d’elle, multipliant les assauts. Elle était tellement enragée que le Connaughta ne réussissait pas à la frapper. En revanche, il était un expert dans l’art de parer les coups, si bien que, malgré sa fougue, elle n’avait pas encore réussi à l’atteindre. Les minutes s’écoulèrent… La fatigue la gagnait.
À chacun de ses cris, elle faisait ressortir toute la haine qui souillait son jeune cœur. Et Valmir commença à faiblir. Elle en profita pour frapper encore plus fort et plus vite. Elle était presque à bout de forces, mais elle n’en laissait rien paraître. Qu’elle ait le malheur de ralentir sa cadence et elle tomberait sous ses coups, humiliée une fois de plus. Non, elle refusait d’envisager cette éventualité, d’admettre la défaite.
Profitant d’une ouverture, elle se rua sur Valmir. Elle feignit de le viser à la tête et, alors qu’il levait son épée pour parer, elle le frappa entre les côtes. La lame tranchante d’Avana glissa sur sa peau et y ouvrit une large blessure. Il tomba à genoux. Il demeura ainsi un long moment, agenouillé devant elle. Finalement, ses jambes perdirent toute force et il s’étendit de tout son long. Avana retint son souffle. Le grand guerrier était tombé. Les secondes s’étirèrent, le temps parut s’arrêter. Elle n’entendait plus que le vent souffler dans la plaine…
Il bougea enfin. Lentement, il se retourna sur le dos. Avana s’agenouilla auprès de lui. Malgré le sang qui coulait abondamment de sa blessure, se mêlant à la boue qui recouvrait le sol, il lui sourit. D’un ton satisfait, Scatach ordonna aux garçons de rentrer. Avana demeura seule avec Valmir au milieu du brouillard. Son corps se mit à trembler, comme si la brume la caressait jusqu’au tréfonds de son être. Plongeant son regard dans celui de Valmir, elle se sentit complètement en paix avec lui et avec elle-même.
Elle ne comprenait pas les sentiments de haine et de fureur qui l’avaient poussée à se battre ainsi. Elle avait beau les rechercher, elle ne ressentait plus que de la satisfaction, la satisfaction d’avoir enfin découvert la puissance qui se cachait en elle. Valmir semblait lui aussi dans un état de paix intérieure, comme si cette défaite lui donnait maintenant le droit d’être plus… humain.
Alors que le soleil faisait poindre ses doux rayons entre les nuages, elle regarda Valmir dans les yeux et, pour un instant, parvint à lire dans son cœur. Ce fut ainsi qu’elle prit conscience que sa haine provenait des souffrances causées par les Ulates qui avaient massacré toute sa famille.
Elle l’aida à se relever, à se mettre en marche. Il était urgent de soigner sa blessure. Les douces notes d’une cornemuse résonnèrent. Avana dévisagea Valmir. À son expression, elle comprit qu’il les avait lui aussi entendues. Elle balaya la plaine du regard, cherchant la provenance de cette musique enchanteresse, et les vit. Des dizaines de guerriers rebroussaient chemin, s’enfonçant dans le brouillard magique où ils disparaissaient telles les ombres d’un autre monde, d’un autre temps. Le combat était fini…
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