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Citation de mimo26


JE ne sais pas ce que je fais encore ici, face à cette porte, comme quand j’étais petit et que je rentrais de l’école. Je devrais retourner à l’appartement, attendre que Marina revienne de sa garde de nuit, lui préparer un petit-déjeuner avec du café et des œufs brouillés, lui dire que je l’aime, qu’elle doit me pardonner. Mais il est trop tard pour faire demi-tour, ma mère m’a vu par la fenêtre, la porte est grand ouverte, le vent froid du matin qui s’engouffre lui est égal. Tant mieux, peut-être que ça va chasser un peu l’odeur de renfermé qui imprègne la maison.

Elle m’attendait anxieusement.

Je n’arrive pas à me décider à entrer, je gagne du temps, je frotte mes chaussures sur le paillasson en tirant une dernière taffe, je jette le mégot parmi les plantes du jardinet. Avant, il était beau, mais maintenant il est plein de broussailles, à l’abandon. Comme tout, comme ma mère, avec ses cernes profonds et son visage délavé.

Finalement, je me décide et j’entre, je ne peux rien faire d’autre, je ne peux plus m’enfuir.

Ma mère finit de boutonner son manteau, enfile des gants de laine, prend son sac et regarde une dernière fois le monsieur.

« Ne fume pas dans le salon, s’il te plaît », elle me dit avant de sortir sans fermer la porte, sans me regarder, sans dire au revoir. Elle fait tout machinalement, comme ces gens qui tapent à l’ordinateur sans regarder les touches.

Je la comprends, ça fait longtemps qu’elle va mal.

Je ferme derrière elle et je reste debout dans le salon, en face de don Armando. L’appareil à oxygène ronronne et fait « bip » doucement. Le monsieur me regarde avec des yeux vides. Il a la bouche sèche, on devine entre ses lèvres des dents jaunies. Il n’a pas été rasé depuis quelques jours et sa barbe, clairsemée et blanchâtre, lui donne un aspect encore plus décrépit.

Je m’assois dans le fauteuil, à côté du lit médicalisé, et je lis le journal qu’on m’a offert dans le métro.

Comme la maison est petite, ils ont dû improviser une clinique ici, dans le salon. Bien sûr, ma mère pensait que le monsieur n’allait survivre que quelques mois. Mais ça fait presque deux ans qu’il tient. Son état ne fait qu’empirer. Mais il tient. Il a sûrement peur de ce qui l’attend de l’autre côté, c’est pour ça qu’il ne veut pas partir. En attendant, il pompe l’énergie de tous ceux qui l’entourent. Ma mère a vieilli de vingt ans pendant ces deux années passées à prendre soin de lui.

L’infirmière à domicile a eu un empêchement aujourd’hui et ma mère doit aller chez le notaire. Elle vient de céder l’un des derniers locaux qui lui restaient dans la galerie commerciale Imperio et elle doit signer la vente.

« Mais laisse-le tout seul », je lui ai dit au téléphone.

Elle s’est tue et j’ai senti qu’elle réfléchissait. Mais après elle m’a dit, comme si elle avait eu honte de l’avoir même envisagé : « Je ne peux pas, et s’il lui arrivait quelque chose ? »

Qu’est-ce qui peut lui arriver, j’ai pensé. Au pire, il meurt. Ce serait vraiment mieux pour tout le monde.
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