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Citation de Charybde2


« Il n’y a pas de copie », c’est tout ce que peut me dire Enzo quand il me glisse le paquet de chiffons sales dans lequel il a enveloppé le NEURON. Il n’a même pas osé le toucher, ses mains tremblent, il sue et peut à peine parler.
Je jette immédiatement les chiffons pendant qu’Enzo disparaît au milieu de la foule qui s’agglutine sur le quai du métro en cette heure de pointe. Ensuite, je fais d’innombrables détours, j’emprunte plusieurs ascenseurs à la suite, je change de niveau, je me débarrasse d’une partie de mes vêtements et je mets un bonnet. Je parcours plusieurs blocs, privilégiant les endroits où les caméras ont été vandalisées et sont hors service, jusqu’à arriver au débarcadère et me mêler à la multitude qui descend des ferries.
Puis je remonte l’allée Cienfuegos en tenant le NEURON dans mon poing d’une façon naturelle, sans qu’on puisse deviner sa présence. C’est un cube d’aspect métallique, opaque. Il doit mesurer quatre centimètres de côté. Il pèse trois cents grammes. Ses arêtes sont légèrement arrondies, comme si elles étaient usées à force de passer de main en main. Il ne présente aucune marque, ni rayure, ni inscription. Ses six côtés sont parfaitement lisses, sans rainure ni orifice. Il est de couleur indéfinissable, comme de la terre morte. Il est froid et ne se réchauffe pas au contact de la peau. Il se maintient en permanence à 18,8 degrés Celsius, quel que soit l’environnement dans lequel il se trouve. Il ne vibre pas et ne peut pas être détecté par les portails magnétiques à l’entrée des souterrains.
L’avenir de la Société du peuple libre repose dans la paume de ma main.
Je me fonds dans la foule et marche tranquillement, comme si je ne sentais pas sur mes épaules la responsabilité d’avoir en ma possession la dernière copie du NEURON. C’est une habitude que l’on acquiert dans la clandestinité : mentir en permanence. C’est un instinct, un camouflage naturel, être comme tout le monde, ne pas de faire remarquer, ne pas avoir peur, ne pas regarder les gens dans les yeux. S’arrêter de temps en temps devant une vitrine, reprendre son chemin comme une personne distraite, perdue dans ses pensées et ses préoccupations, inquiète de ne pas réussir à joindre les deux bouts.
Je suis clean, indétectable. Le NEURON est en sécurité pour le moment. Il ne reste qu’un dernier rendez-vous. Plus qu’un échange et le réseau pourra être restauré. Une fois le NEURON en ligne, les relais se multiplieront pour dupliquer les informations, nous aurons résisté une fois de plus aux attaques et la Société du peuple libre sera de nouveau sauvée.
L’allée Cienfuegos est éclairée de mille feux, les fêtes vont bientôt commencer, je ne sais pas qui peut avoir envie de fêter quoi que ce soit, mais c’est la dynamique commerciale qui veut ça, on passe d’une chose à l’autre, de la Saint-Valentin à la fête des Mères, du jour des animaux domestiques au jour de l’enfance, de la célébration de l’Armistice à Halloween, etc. Ça ne s’arrête pas, on cherche toujours un moyen de forcer les gens à acheter ce dont ils n’ont pas besoin, parce que s’ils n’achetaient que le strict nécessaire, la moitié des magasins ferait faillite.
« Victor… » dit la voix de Mila dans mon oreillette.
Je m’arrête. C’est curieux que ce soit elle, le dernier contact. Nous avons fait nos armes ensemble dans le NEURONisme et, après beaucoup de sacrifices, nous avons grimpé dans la hiérarchie. Nous avons finalement intégré le premier cercle du mouvement sans rien devoir à personne, et aujourd’hui, nous sommes les deux derniers maillons dont dépend toute la chaîne.
« Victor… »
Cela fait des années que je ne l’ai pas entendue prononcer mon nom, et, bien que je sois à moins de cent mètres de notre point de rencontre, je m’immobilise. Quelque chose dans la voix de Mila me prévient d’un danger.
« Rien. »
Rien est notre signal d’alerte, si quelque chose ne va pas. Je me tourne face à une vitrine. J’attends.
« Rien, rien, rien… » répète Mila.
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