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Citation de emdicanna


Parmi les journaux présentés dans La fabrique de l'intime figurent ceux de dames nobles ou bourgeoises, et un seul qui a été écrit par une femme du peuple, Victoire Monnard, Mme Huet. Peu alphabétisée, elle réussit pourtant à nous faire partager sa vie quotidienne et celle de sa famille. L'éditeur s'est vu contraint de remanier un peu le style, et de corriger l'orthographe.
Voici un passage qui raconte comment on allait de Paris à Nantes au XVIIIe siècle en empruntant les fleuves, et qui nous informe aussi de certaines atrocités commises par la Terreur dans la région de Nantes. Après plusieurs jours de grandes difficultés - un vent qui les fait chavirer, une grande promiscuité ("Vingt-deux personnes, dont quinze soldats s'en allant en semestre, deux domestiques... et nous quatre, étaient ce que contenant cette barque ; on y était serré comme des harengs dans une caque."), épuisés, n'ayant plus la force de ramer, ils décident de demander main-forte à un membre de l'équipage d'un gros bateau ayant croisé le leur :
" Enfin le bateau attendu arrive ; les bateliers entrent en pourparlers, les parlementaires se rapprochent, ils conviennent de leur fait... Un homme pesant au moins deux cents (sic), et quoique étant dans un état d'ivresse, n'en fut pas moins mis en fonction de rameur. Notre patron nous raconta que cet homme, en 1793, était l'un des chefs des noyades de Nantes ordonnées par Carrier, agent de Robespierre, pour faire incarcérer les aristocrates de Nantes et de ses environs. En ayant un assez grand nombre d'arrêtés et voulant s'en défaire promptement pour les faire remplacer par d'autres qu'il avait en vue de faire arrêter, il inventa un nouveau mode d'exécution en faisant mettre vingt ou trente de ses prisonniers dans des nacelles au milieu desquelles étaient des trappes qu'on levait à volonté. Lorsqu'elles étaient à une certaine distance de Nantes en pleine eau, notre nouveau rameur en levait les trappes et les refermait sur ses victimes... La partie saine de la France désignait ces crimes par "les Noyades de Nantes". La narration de ces crimes m'avait transie d'épouvante, et d'horreur d'en avoir un des exécuteurs avec nous. Cet homme, ivre de vin et balancé par le mouvement réitéré des rames..., s'endormit assez profondément pour tomber dans la Loire. Il était placé à l'extrémité de la barque, de manière que nous ne pûmes le voir dormir ni culbuter à la renverse et ne nous aperçûmes qu'il nous manquait que parce que nous n'avancions presque plus ... Notre patron, plus expert que nous, s'étant aussitôt aperçu de sa disparition, s'était jeté dans la rivière et avait plongé pour l'en retirer ; c'était d'autant peu facile qu'il était nuit et... qu'il fallut qu'il le cherchât à tâtons. Cependant il parvint à ramener sur l'eau cette masse de chair, que nous eûmes peine à hisser dans la barque... Cet homme ne s'était pas même, je crois, réveillé au fond de l'eau, car lorsqu'il en fut retiré il ne dit pas un mot et dormit sur la planche trois heures profondément dans ses vêtements mouillés... Notre ivrogne après avoir dormi reprit ses rames... Et après avoir passé sept jours et six nuits sur la Loire, qui m'avaient paru un siècle, épuisés de fatigue et de misère, nous arrivâmes à Nantes."
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