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Citation de EtienneBernardLivres


Charles-Paul de Kock
On arrive sur la place de l’endroit, c’est là où la fête se tient.

Dans un petit coin, qu’on a sablé et entouré de corde, deux violons et un tambourin font danser la jeunesse du pays. En face il y a deux boutiques ambulantes, l’une de pain d’épice, l’autre de saucissons.
Tout cela est éclairé par quelques lampions posés à terre, et des chandelles entourées de papier.

Au moment où la société arrive, il y avait effectivement une rixe entre les paysans, dont la plupart étaient gris. 

Les paysannes s’étaient sur-le-champ réfugiées d’un autre côté, d’où elles regardaient ces messieurs se battre.
Mais enfin la dispute venait de s’arranger, on se rapprochait, les sexes se mêlaient de nouveau, et on retournait à la danse que l’on avait abandonnée.

- « Vous voyez bien qu’on s’amuse ici, » dit M. Barbeau. « on fait du bruit parce que les paysans n’ont pas l’habitude de parler bas. »

- « C’est cela une fête champêtre ? » Dit Grigou.

- « Attendez donc, nous n’avons pas encore tout vu… Cherchons un traiteur d’abord. »

On cherche, on regarde de tous côtés, mais il n’y a pas plus de traiteur à Bagnolet que de fête à Romainville. On découvre cependant un gargotier, sur la porte duquel est écrit : Jardin champêtre et paysage.

- « Comprenez-vous ce que ça veut dire ? » demande M. Barbeau au peintre.

- « Ma foi non !… »

- « Ni moi, c’est égal, entrons là, nous demanderons un paysage où l’on mange. »

On entre dans la guinguette. On ne reste pas dans la salle, parce que cela y sent l’ail à faire pleurer ; on passe dans le jardin champêtre, derrière la maison.
C’est là que le marchand de vin prétend qu’on voit un paysage, parce que, sur les murs du fond de son jardin, il a fait coller du papier, à treize sous le rouleau, sur lequel sont peints des serins et des perroquets.

La société qui meurt de faim, s’arrête à une table, devant le paysage, et demande ce qu’il y a pour dîner.
On ne peut lui donner que du petit salé et des oeufs frais ; tout le reste a été dévoré par les paysans venus à la fête.
Ce repas arrosé du vin de Bagnolet paraît bien champêtre aux parisiens.
On se dépêche de le prendre et de quitter le « paysage ».

Le bal est en train. Après avoir bourré la société de pain d’épice, en guise de dessert, M. Barbeau veut absolument la faire danser.
Il entraîne sa femme qui résiste en vain, Bellefeuille prend la main de Nonore, les voilà sur le petit terrain sablé.
L’orchestre part ; les paysans étaient partis avant ; la danse est très animée.
Tout à coup d’autres paysans arrivent d’un air furibond, et disent à ceux qui sautent : « nous nous avons défendu de danser avec nos femmes ! »

Et sans attendre de réponse, ils appliquent des coups aux danseurs.
Ceux-ci ripostent, tous les paysans qui sont à la fête accourent et prennent parti pour l’un ou pour l’autre. Le combat devient général.
Les femmes se sauvent en criant, les enfants pleurent, et malgré cela les violons vont toujours.

Au milieu de cette cohue, de cette grêle de coups que les paysans se donnent, Madame Barbeau a perdu son mari, sa fille a été séparée de son danseur.
Ce n’est pas sans peine qu’elles parviennent à sortir de l’enceinte du bal.
Elles appellent leurs époux, leur frère, leurs voix se perdent avec celles des paysannes qui crient pour séparer les combattants.
Au coin de la place ces dames retrouvent Grigou, que deux hommes viennent de relever, et sur lequel quatre paysans se sont battus pendant cinq minutes.

Grigou est moulu, mais il trouve assez de force pour s’éloigner de la fête du village.
Il ne manque plus que M. Barbeau pour fuir de Bagnolet ; il arrive enfin, sans cravate, le col déchiré, mais toujours de bonne humeur.

- "Ah les enragés, comme ils y allaient !"

- "Ah ! Mon ami… D’où venez-vous ? Que j’étais inquiète !"

- "Je viens de me battre."

- "Et pour qui ?"

- "Je n’en sais rien, mais ma foi, tout le monde se battait, j’ai fait comme les autres, j’en ai roulé deux ou trois, et alors on m’a fait de la place."

- "Ah ! Mon dieu ! Quelle partie de campagne !…"

- "Est-ce que vous voulez vous en aller ?"

- "Oui, monsieur, et bien vite encore."

- "Eh bien, en route… Mais je ne vous réponds pas que nous trouverons une voiture à la barrière."

- "Ah ! Monsieur Barbeau, dit Grigou, vous ne me reprenez pas à une fête aux environs de Paris."

(Extrait de "Paris, ou le livre des cent et un")
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