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Citation de Danieljean


La chaleur était si écrasante que seul un scorpion noir s’aventurait sur le sable de la cour du bagne. Perdu entre la vallée du Nil et l’oasis de Khargeh, plus de deux cents kilomètres à l’ouest de la cité sainte de Karnak, il accueillait des récidivistes qui purgeaient de lourdes peines de travaux forcés. Quand la température le permettait, ils entretenaient la piste reliant la vallée à l’oasis, sur laquelle circulaient les caravanes d’ânes porteurs de marchandises.
Pour la dixième fois, le juge Pazair présenta sa requête au chef du camp, un colosse prompt à frapper les indisciplinés.
— Je ne supporte pas le régime de faveur dont je bénéficie. Je veux travailler comme les autres.
Mince, assez grand, les cheveux châtains, le front large et haut, les yeux verts teintés de marron, Pazair, dont la jeunesse avait disparu sous l’épreuve, gardait une noblesse imposant le respect.
— Vous n’êtes pas comme les autres.
— Je suis prisonnier.
— Vous n’avez pas été condamné, vous êtes au secret. Pour moi, vous n’existez même pas. Pas de nom sur le registre, pas de numéro d’identification.
— Ça ne m’empêche pas de casser des roches.
— Retournez vous asseoir.
Le chef du camp se méfiait de ce juge. N’avait-il pas étonné l’Égypte en organisant le procès du fameux général Asher, accusé par le meilleur ami de Pazair, le lieutenant Souti, d’avoir torturé et assassiné un éclaireur égyptien, et de collaborer avec les ennemis héréditaires, les bédouins et les Libyens ?
Le cadavre du malheureux n’avait pas été retrouvé à l’endroit qu’avait indiqué Souti. Aussi les jurés, ne pouvant condamner le général, s’étaient-ils contentés de réclamer un supplément d’enquête. Investigation vite avortée, puisque Pazair, tombant dans un traquenard, avait lui-même été accusé de meurtre sur la personne de son père spirituel, le sage Branir, futur grand prêtre de Karnak. Interpellé en flagrant délit, il avait été arrêté et déporté, au mépris de la loi.
Le juge s’assit en scribe dans le sable brûlant. Sans cesse, il songeait à son épouse, Néféret. Longtemps, il avait cru qu’elle ne l’aimerait jamais ; puis le bonheur était advenu, violent comme un soleil d’été. Un bonheur brutalement brisé, un paradis dont il avait été expulsé, sans espoir d’y revenir.
Un vent chaud se leva. Il fit tourbillonner des grains de sable qui fouettèrent la peau. La tête couverte d’une étoffe blanche, Pazair n’y prêta pas attention ; il revivait les épisodes de son enquête.
Petit magistrat venu de province, égaré dans la grande cité de Memphis, il avait eu le tort de se montrer trop consciencieux en étudiant de près un étrange dossier. Il avait découvert l’assassinat de cinq vétérans formant la garde d’honneur du grand sphinx de Guizeh, massacre maquillé en accident ; le vol d’une importante quantité de fer céleste réservé aux temples ; un complot mêlant de hautes personnalités.
Mais il n’était pas parvenu à prouver, de manière définitive, la culpabilité du général Asher, et son intention de renverser Ramsès le grand.
Alors que le juge avait obtenu les pleins pouvoirs afin de relier entre eux ces éléments épars, le malheur avait frappé.
Pazair se souvenait de chaque instant de cette horrible nuit. Le message anonyme lui annonçant que son maître Branir était en danger, sa course éperdue dans les rues de la ville, la découverte du cadavre du sage Branir, une aiguille en nacre plantée dans le cou, l’arrivée du chef de la police qui n’avait pas hésité un instant à considérer le juge comme un meurtrier, la sordide complicité du Doyen du porche, le plus haut magistrat de Memphis, la mise au secret, le bagne et, au bout de la route, une mort solitaire, sans que la vérité fût connue.
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