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Citation de Partemps


21/07 [des bâtons dans les roues]

Manuscrit de Bruno Fern : dans les roues. L’auteur est à vélo. Son casque est équipé d’un logiciel à split-screen. Il rediffuse pour nous des éclats découpés dans le paysage.
Défi : faire tenir ensemble ce que la perception disloque. Forme homogène (représentation) et contenu hétérogène (matériau représenté) se défient l’un l’autre.
Le parcours suppose « suite de départs », halètements dans les pentes, secousses sur « cassis ou dos-d’âne ». Bilan : « L’image n’arrête pas de sauter ». Ça bouge beaucoup, cassé de hoquets, entre bribes de « décor », irruption de refrains idiots, ruminations méditatives sur-jouées.
Côté phrasé : des articulations surprenantes relancent à fond la caisse. Tout a lieu aux jointures de « liaisons quasi acrobatiques ». Souvent il s’agit de la désarticulation ré-articulée de tel ou tel idiolecte : « pas moyen de moyenner », « c’est le métier qui entre », etc.
Côté phrase : les vues sur sites, amorces de scènes et bribes de pensées ne fusent que dans des intervalles : « c’est l’entre-deux qui importe ». Toujours par concrétions erratiques : des cailloux sur le chemin, des calculs — au sens qu’Arno Schmidt donne à ce mot.
L’allure stylistique, cependant, est enroulée. Elle fond en elle un mouvement chaloupé de chutes (de fin de paragraphes en amorces d’autres) et de suspens (de phrases brisées en phrasés enrobés).
Entre le fondu enchaîné (liaison) et la scansion cut (déliaison) l’imprévisible des articulations ouvre au surgissement de ce qui défile dans la tête du cycliste. Ces poussées déboulent à chaque fois comme des bâtons dans les roues. Cet effet peut s’appeler « effet de réel » : imprévisible accident dans la progression sensée que fait peu à peu coaguler l’inéluctable logique syntaxique.
Gourmand de cet effet, le cycliste en vadrouille est un Jean de la Lune ahuri. Mais aussi un Cingria moqueur, un Schmidt rogue et éberlué par la profusion chaotique du réel. Et un Piero della Francesca bricoleur, occupé à reconstruire l’espace dans un carrelage de perspectives. Georges Bataille : « l’espace est demeuré voyou : il est difficile d’énumérer ce qu’il engendre ».

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27/08 [dignités]

Un poète, sur TXT 33 : « j’ai l'impression de lire des productions supposées "drôles" de potaches (modèle lycéen des années 75) ».
TXT horripile les auteurs « sérieux ». Ce sont souvent des professeurs. Ils craignent qu’on bafoue la littérature. Leur dignité tient en effet à celle des objets dont ils traitent. Rimbaud pointait cela chez Izambard. Jarry a vite su où était la cible : Ubu prof.
Bien des poètes sont comme ces professeurs inquiets qu’on salisse leur boutique. Quand je lui parlais de Jarry, Ponge pinçait le nez, pour cette raison. Dans les années 1890, les almanachs décervelés du P. Ub. faisaient le tri : la basse-cour symboliste, égosillée, s’égaillait : ne restaient auprès d’Alfred que les grandes volailles inexorables (Mallarmé, Apollinaire, même Gide…).
Le poète énervé : « n’importe quel potache en ferait autant ». Vieille bêtise. L’enfant de cinq ans (cf Groucho Marx) supposé capable de faire aussi bien que Picasso ne fait jamais aussi bien parce que 1/il ne pense pas à faire 2/ s’il y pensait, ce n’est pas à faire du Picasso qu’il penserait 3/ s’il s’en avisait, il n’en ferait qu’un ersatz pâle. De même, nul « lycéen » ne voudrait écrire (ni ne saurait le faire) ce qui figure dans les pages almanach de TXT — qui, dans presque tous les cas, est formellement complexe.
Tout cela n’incite qu'à aggraver : voler dans les plumes du sérieux « littéraire » (la poésie en est souvent la version la plus cambrée du mollet). Pour faire revenir une autre dignité : la gravité, au bout du compte, du jeu de mot. Il n’est pas qu’un jeu : il touche à la violence du non-savoir, à la cruauté de l’altercation réel/langue. Qui n’en veut rien savoir ne sait rien non plus des raisons qui font qu’on écrit. Qu’on publie. Qu'on édite une revue.
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