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Citation de lilianelafond


Christophe Gallaz
L’araignée, le rétroviseur et Michel Onfray. Par Christophe Gallaz, écrivain.

Une histoire m’est advenue. Son héroïne fut une araignée qui colonisa, voilà quelques mois, un rétroviseur latéral de mon automobile. Un matin j’aperçus sa toile, qui s’étendait du boîtier comportant le miroir jusqu’à la vitre de la portière. Une merveille technique remontée du fond des âges, puisque les formes de cet arthropode apparurent voilà 140 millions d’années. Pourtant je détruisis grossièrement cet ouvrage, aux fins de mieux surveiller mes arrières en pilotant mon vaisseau de tôle et de plastique. Or le voile de soie régna de nouveau le lendemain, que je défis tout autant. Ainsi de suite, une petite semaine, avant que mon comportement basculât dans un respect sacré face à cette merveille d’obstination tricoteuse. Il faut parfois s’agenouiller face à pareille expression de la vie qui nous dépasse et prime de loin celle de notre engeance autopropulsée jusqu’aux délires de la nocivité.

Plus tard je compris l’énigme. L’animal s’abritait durant le jour derrière le miroir du rétroviseur, dans sa loge sise entre le verre et les parois de son boîtier, avant d’en sortir à la nuit tombée puis de restaurer son piège élégantissime, et savourer quelques-unes de ses proies réputées pour leur jus. Ainsi vécûmes-nous côte à côte plusieurs semaines, au gré de cent routes et de mille chemins étirés de la ville à la campagne
– et qu’il plût ou fît soleil.

Or dans l’intervalle j’avais découvert autre chose. Une silhouette était apparue parmi les reflets du rétroviseur. C’était celle de Greta Thunberg, la jeune Suédoise qui grimpe sur toutes les tribunes publiques de l’Europe pour alerter nos foules gavées d’abrutissements obèses sur l’urgence de conjurer la dévastation climatique à l’échelle de la planète. Et là, du rétroviseur, elle dardait au loin le regard tenace des prophètes exacts.

Alors un philosophe hexagonal, devenu plus connard aujourd’hui qu’il avait été inspiré dans ses débuts, le Michel Onfray dont Wikipédia relate qu’il défend une vision du monde hédoniste, épicurienne autant qu’athée, la rejoignit dans le miroir pour lui beugler ce qu’il venait de vomir urbi et orbi sur son propre site internet.

À savoir que cette adolescente atteinte d’un autisme brillamment fonctionnel ressemble à «ce vers quoi l’Homme va» — évoquant pour lui, de manière étrangement cryptosexuelle, «ces poupées en silicone qui annoncent la fin de l’humain et l’avènement du post-humain». D’ailleurs, poursuit le connard en son libelle, que «dit ce corps qui est un anticorps?» «Cette chair qui n’a pas de matière, cette âme qui fait la grève de l’école, cette intelligence ventriloquée?» Avant d’ajouter: «Nous les enfants», dit-elle quand elle parle! Mais quelle civilisation a jamais pu se construire avec des enfants?»

À la surface de mon miroir emporté dans l’espace et le temps, la lucidité fraîche affrontait donc la sagesse cacadémique fate et pourrie – celle dont Schopenhauer écrivit qu’elle «délaisse complètement l’objet» et «dirige ses attaques sur la personne de l’adversaire» lorsqu’elle a perdu la partie. Il en résulta pour moi la vision synthétique d’un monde si condamné par ses rhétoriciens tordus que je devins brutalement terroriste. En commettant l’embardée qui projeta le connard sur le bitume surchauffé par l’horreur climatique, où ne resta bientôt plus que sa carcasse en train de frire. La toile de l’araignée s’en trouva sublime au jour du lendemain.
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