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Citation de danou


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(p 11 à 14, Le dernier gardien)

Si vous grimpez tout en haut de la pointe, vous l’apercevrez au loin, ceinturée de noir, quand la marée court vers le large. Au point que tout le monde a oublié son nom et l’appelle l’île noire.
Émaillée de taches blanches. Les goélands y passent leur journée, chaque fois que le dur vent d’ouest les laisse tenir debout.
La côte au noroît est découpée comme une mâchoire un peu dégarnie qui ne posséderait que des canines. Des millions d’années de vagues ont attaqué le granit. L’ont tordu. Déchiré. Affûté.
Du continent, vous ne verrez pas la pente verte qui glisse vers quelques mètres carrés de grossier sable gris et de galets ronds que n’ont jamais osé couvrir les laminaires géantes et le varech gluant.
Les houles énormes des grandes tempêtes n’arrivent pas jusque-là, brisées par d’autres écueils, déchirées par d’autres mâchoires. Mais les vagues courtes se font cassantes dès que le vent se lève, la mer blanchit et les rocs chassent vers le ciel des gerbes d’eau écumeuse.
Certaines nuits d’hiver, les embruns planent sur toute l’île. Seule reste alors au sec la tête illuminée du phare qui fait tourner son œil géant pour effrayer les navigateurs et les éloigner de ces eaux recelant mille récifs cachés.




Kleden Tévennec détaillait son royaume. Le canot de service l’avait déposé à midi. Les hommes avaient déchargé et transporté au pied du phare deux semaines de ravitaillement pour compléter les stocks déjà entreposés à l’intérieur. Vite, ils s’en étaient allés, profitant du jusant qui les ramenait vers leur port d’attache sur le continent.
Juin éclairait l’îlot de toute sa lumière. À près de soixante mètres au-dessus des flots, on dominait le monde. Chaque rocher pouvait être comptabilisé. Seul, restait à l’abri du regard le creux de la minuscule plage où aucune baigneuse ne viendrait jamais troubler la solitude du gardien.
Un coup de chiffon sur les lentilles et les cuivres les avait débarrassés des cristaux de sel abandonnés par les embruns des tempêtes précédentes. La lanterne allait, cette nuit, briller d’un nouvel éclat. Personne ne s’en apercevrait. Kleden aimait le travail bien fait.


Un dernier tour d’horizon. Il dévala prestement les marches de pierre et s’assit sur le muret qui courait devant la tour. Il tourna le visage vers le soleil qui se préparait à plonger dans le lointain de l’océan. Ce soir, seule une légère ondulation venait clapoter sur le socle de l’île, y déposant une moustache blanche.
Les filaments qui s’étiraient dans le ciel annonçaient une dépression pour le lendemain. Du gros temps pour plusieurs jours. Une météo à ne pas mettre une mouette dehors. Heureusement, le phare fonctionnait sans flamme à allumer. À surveiller. Sans bidon de carburant à soulever, à hisser, marche après marche jusqu’au sommet. Le gardien n’avait plus besoin de passer sa nuit dans la tête du colosse, au cœur des hurlements de la tempête déchaînée.
La fée électricité était arrivée jusque-là grâce à son gros câble qui serpentait au fond de la mer. Kleden Tévennec avait seulement pour mission de vérifier, surveiller, informer les techniciens qui, de leurs bureaux sur la terre ferme, la vraie, préparaient l’automatisation complète de cette lueur d’espoir pour les marins perdus.
D’ici quelques mois, on n’aurait plus besoin de gardien pour le phare de cette île maudite. […]
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