On ne sait pas trop d’où surgit ce David Heatley mais lorsqu’on ouvre les pages de son album, l’impression de déjà-vu est déstabilisante : pour un peu, on croirait reconnaître la plupart des grands noms de la bande dessinée indé américaine. Plus que le dessin, ce sont les sujets abordés qui fédèrent autour de cet auteur : Chris Ware en tête, mais aussi Harvey Pekar, Robert Crumb ou Dan Clowes. On aura donc deviné quel est le sujet de conversation préféré de David Heatley : sa vie.
J’ai le cerveau sens dessus dessous peut indiquer à la fois l’état causal et consécutif de la production graphique de David Heatley. Peut-être parce qu’il ne comprenait rien à ce qu’il avait vécu jusqu’alors, le dessinateur a décidé de procéder à un rangement biographique méticuleux en cinq parties : le sexe, la race, la mère, le père, la famille. Ces cinq catégories suffisent pour contenir ce qui importe le plus à l’auteur. Mais on imagine bien que le rangement n’a pas dû s’effectuer de manière sereine et détendue. Pour preuve, les productions de David Heatley sont anarchiques et soumises au fluctuant. Si chaque chapitre s’ouvre par une courte série de planches au format classique, bien vite leur succèdent des assemblages de cases de longueur variables, s'étendant aussi bien sur plusieurs pages que sur une ou deux cases.
La vie de David Heatley n’a rien de particulier qui justifie qu’on fournisse l’effort incommensurable de surpasser l’illisibilité de ses planches. Illisibilité à la fois graphique –car certaines planches sont tellement enserrées les unes entre les autres, tassées à la va-vite, qu’on louche pour apercevoir quelque chose du dessin ou du texte-, mais illisibilité également conceptuelle –car David Heatley nous balance tous les évènements de sa vie, sans ordre et de manière décousue. Matière brute à l’état brut : on peut apprécier la spontanéité, mais c’est bien la seule chose qui semble valable dans tout cet amoncellement de parcelles de vie pour lesquelles le dessinateur semble vouer une fascination qui virerait presque à l’onanisme. Et ainsi on découvre les périodes palpitantes de son existence : « moi en train pratiquer ma première sodomie », « moi dans mon premier appartement d’étudiant », « moi au restaurant avec papa », « moi en train de dessiner »… Le tout s’enchaînant de manière saccadée, entraînant une lecture plutôt désagréable.
On l’aura donc compris : lire la vie de David Heatley provoque beaucoup de désagréments cérébraux pour un intérêt moindre –sauf si l’on se passionne pour les déboires insignifiants à la mode « Loft Story ». Dommage que l’auteur nous file son mal de tête et qu’il parvienne à nous transmettre sa sensation d’avoir le cerveau sans dessus dessous. Peut-être que s’il avait accepté d’organiser et de trier ses dessins pour n’en garder que le plus pertinent, plutôt que de tout conserver avec la précaution d’un fétichiste et de nous bourrer le crâne de détails inutiles, l’originalité et la fantaisie de son point de vue sur les évènements se seraient révélés au-delà du sentiment de n’être confronté qu’à un bloc nauséeux de dessins minuscules.
Lien :
http://colimasson.over-blog...