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Citation de hcdahlem


(Les premières pages du livre)
Les Yanomami sont des semi-nomades, chasseurs-collecteurs et agriculteurs sur brûlis, vivant en communautés dispersées, dans la forêt tropicale humide d'Amérique du Sud. Le territoire qu’ils occupent depuis mille ans s'étend entre le Venezuela et le Brésil, de part et d'autre de la sierra Parima, la chaîne de montagnes qui sépare le bassin de l'Orénoque, au nord, de celui de l'Amazone au sud. La forêt englobe tout ce qui est nécessaire à leur existence; elle abrite les esprits et les rites, elle est le théâtre luxuriant de leurs rêves. Les «Blancs» se sont introduits sur la terre des Yanomami dans les premières décennies du XXe siècle.

La traversée
La vie de Paliki avait commencé par les abandons soudains, les peurs infernales. L'année 1962, elle avait fait l'acquisition d’un boîtier photographique. Elle cherchait un moyen de se relier aux autres. Sa vie s'écoulait lentement, rongée par une solitude invariable. Rien, n'avait réussi à l'en arracher. Elle n'en parlait à personne et personne ne s'en souciait.
Seule, elle parcourut le Pérou, la Colombie, le Brésil surtout. On lui confia des reportages; des rédacteurs de magazines en vogue retenaient ses clichés. D’autres prenaient congé d'elle en peu de mots, arguant de la faiblesse irrémédiable de son sexe. Elle photographiait des familles de pêcheurs, des planteurs de café, des prostituées et des homosexuels rejetés des mégapoles, des paysans désespérés du Nordeste, honteux de leur misère.
Le magazine Realidade avait commandé un reportage long et coûteux, dans l’État de Pará.
Elle rencontra les Indiens Kayapo. Elle aima leur joie pure. Elle ne savait pas leur langue: elle usa de sourires. Elle apprenait dans les regards. Elle fit d’eux des portraits doux et insouciants qui s'étalaient en pleine page, en quadrichromie.
Les nuits, elle rêvait à des projets de longue haleine pour documenter et comprendre leurs cérémoniaux. Un ethnologue brésilien lui avait parlé d’une expédition qui se montait pour traverser la sierra Parima depuis le Venezuela.
Elle obtint d'y participer. Tout devenait possible pour son art. Elle se sentait poussée à s'y aventurer, à ne jamais prendre de repos avec lui.
Elle était jeune encore. Il fallait oublier.
Elle découvrait que le hasard et la photographie pouvaient disposer du cours entier d'une existence.
Dans les derniers jours de mars 1969, elle partit loin au nord.
Dans le bassin du fleuve Orénoque.

Les pirogues se trouvèrent lancées au milieu du fleuve. Un dédale d’îlots les dissémina; le courant était fort. Des Indiens grands et musculeux se relevèrent, enfonçant profondément dans les flots de longues perches de bois clair. Le signal du départ avait été donné sous une timide éclaircie. Les nuages étaient chassés au loin. Ils allaient s'empiler en tas sombres, au pied de la Cordillère orientale.
Les jours d'avant, Puerto Ayacucho avait bruissé de conversations intriguées, de fébriles préparatifs.
La pluie battait les lourdes caisses de matériel et de pacotille. L'excitation grandissait. Un attroupement s'était formé sur la berge. Dans l’eau, des enfants riaient, tout en nageant contre le courant. Ils étaient nombreux; ils voulaient voir et comprendre. Après les provisions de café, de riz et de viande séchée, on avait embarqué les moustiquaires et les hamacs, le grand fût d'essence, un groupe électrogène. Paliki avait profité de ces journées d'attente pour lire d'anciens récits d'exploration.
La sierra Parima fascinait mais son évocation n'était jamais empreinte de quiétude. Sur ses sommets, les conquistadors de jadis y avaient situé la mythique cité d’Eldorado. Dans les causeries du soir, on dépeignait des forêts inextricables, des pluies insensées, les fleuves emportés en chutes vertigineuses. Chacun se demandait avec anxiété comment il échapperait au venin des animaux, aux tribus inhumaines.
Les pirogues étaient comme des balançoires. Des vagues noires se dressaient, puis déferlaient à contre-courant. On pagaya énergiquement pour éviter de grands tourbillons. Au loin, on entrevit une barrière d’écume d’un blanc aveuglant: un seuil rocheux empêchait le passage. Il fallait débarquer. Le portage se fit sous une lourde averse, puis la navigation reprit devant une grande île. Une brume humide l'enveloppait de reflets argentés. L'eau redevint profonde et calme; le courant ne se voyait plus. Le silence se fit.
Déjà, le fleuve commençait à s’élargir. Dans son téléobjectif, Paliki observait les rares fondations qui étaient posées sur les rives herbeuses: quelques fragiles cases de chaume et de pisé. Leurs habitants en semblaient partis. Dans la lumière irisée du matin, elle voyait seulement paraître la robe blanche d’une chèvre ou l'encolure d’un cheval.
La végétation se serra et s’éleva. De temps à autre, le cri d’un singe hurleur retentissait. La forêt ne forma bientôt plus que l’unique paysage. Les pirogues longeaient de petites îles toutes rondes, d’un vert impénétrable et bleuté.
La lumière baissa: il restait une heure avant la nuit. On installa le bivouac sur une plage boueuse. Des tortues couleur de terre s’y tenaient. La lampe à huile et le feu qu'on alluma attirèrent immédiatement une myriade de papillons blancs et bleus. Chacun s’allongea dans son hamac, laissant le temps au cuisinier de confectionner le repas. On oublia le fleuve pour ne plus songer qu'à la forêt qui les enveloppait de ses frôlements étranges. Ils mangèrent du riz déposé sur des feuilles de bananier. Le chef d’expédition était enthousiaste. Il narrait d'anciennes aventures. Il exagérait mais Paliki l'écoutait, le sourire aux lèvres. Elle se trouvait faite pour une vie aventureuse.
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