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Citation de Dandine


La famille Kobler habitait un grand appartement aux nombreuses chambres luxueusement meublées. Ils étaient riches. M. Kobler, la cinquantaine, avec une barbe respectable et blanchissante, était un Juif de Moravie né à Vienne, il achetait et vendait des actions à la Bourse, s’occupait de wagons de marchandises que personne ne voyait jamais et qui n’existaient que sur le papier, dans des registres ou sur des listes. Il avait un bureau au nom des « Frères Kobler, Import-Export » (la firme s’appelait pompeusement « Frères Kobler » mais il était l’unique frère, les autres n’étaient pas nés). Il possédait quelque part une grande ferme où il n’allait jamais, une belle villa à Bad Ischl où ils séjournaient en été, quand ils n’allaient pas au bord de la mer à l’étranger. Kobler se préparait à recevoir le titre de « conseiller à la Cour », titre auquel il s’essayait avec un plaisir anticipé : « Monsieur le conseiller Heinrich Kobler, qu’en penses-tu, Emmie ? »
Sa femme Emmie était une chrétienne de basse extraction qui avait épousé Kobler parce que « les Juifs ont de l’argent ». Elle s’était toujours sentie supérieure à lui à cause de ses origines chrétiennes, mais à vrai dire ce n’était pas une méchante femme. Tous ses efforts convergeaient vers la sauvegarde de sa jeunesse passée à laquelle elle s’accrochait de toutes ses forces, avec ses gestes, son rire qui se voulait jeune mais sonnait faux et ridicule. Elle niait la fatigue, et si quelqu’un s’en plaignait devant elle : « Moi, je ne suis jamais fatiguée ! disait-elle. Dieu merci, je n’ai pas encore l’âge. » Et chacun pensait : « Vieille chiffe ! »
Et son mari, Heinrich Kobler, qui la voyait fripée et ridée le matin au saut du lit, sans le masque du maquillage et des vêtements à la mode, entretenait une petite maîtresse blonde qui lui coûtait quelques centaines de couronnes par mois et avec laquelle il passait trois après-midi par semaine. Les autres jours, il vivait en bonne entente avec sa femme qu’il aimait. À force de répéter « Mon Emmie qui est d’origine aristocratique », il avait fini par y croire. Par ailleurs, Kobler évitait la fréquentation des Juifs, cherchait la compagnie exclusive de ceux qui ne l’étaient pas et, parmi eux, de ceux qui avaient un titre. Titre qu’il prononçait ostensiblement, avec l’humilité, la gratitude et la fierté de faire partie des intimes. Il se montrait généreux à l’égard des institutions de charité chrétiennes, surtout celles auprès desquelles il pouvait acheter sa renommée. Mais ses amis proches comme ses obligés disaient de lui dans son dos : « Ce Juif méprisable. »
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