Morgan appuya sa tête contre son dossier et ferma les yeux. Il pensait à une cellule de prison bien fraîche, où on peut au moins s'étendre sur sa paillasse la nuit, sûr de ne pas se faire abattre par un fou dans son sommeil. Il pensait à l'eau glacée de la prison, au thé léger de la prison, à la bonne soupe et au pain de la prison. Il avait passé des mois à imaginer et à organiser son évasion, des mois de messages griffonnés et d'attention scrupuleuse aux détails. Des centaines, parfois des milliers de dollars avaient changé de mains à chaque étape qui le rapprochait de la liberté. La liberté ! Morgan sourit amèrement en y pensant. Il était sorti de la prison pour tomber dans cet enfer, pour risquer sa tête après une courte marche sur une piste de l'aéroport de Los Angeles. Et c'était ça la liberté. En ce moment, Lee Morgan aurait été heureux de tendre ses deux mains en souriant à la sécurité des menottes sur ses poignets.
Lee Morgan avait souvent eu peur dans sa vie, depuis sa première arrestation pour un délit insignifiant, jusqu'au jour où il s'était retrouvé entouré de flics, sachant qu'il allait tirer de neuf à quatorze ans de ballon. Il avait eu peur quand les frères Morisay l'avaient poursuivi pour toucher une grosse dette de jeu contractée à leur tables de roulettes. Il avait eu peur quand, braquant un garage, il s'était aperçu que l'endroit était gardé par des chiens, et que seule sa présence d'esprit et sa forme physique l'avaient tiré de leurs mâchoires. Il avait connu la peur bien des fois. Son goût amer lui était familier. Mais aujourd'hui, c'était différent. C'était l'Enfer qui déchaînait toutes ses horreurs à la fois, et lui au milieu de tout ça, une arme sur le ventre.
- Dites donc, mon vieux, vous êtes rudement bien monté pour un curé.
- La prêtrise n'affecte pas un homme dans son physique, parvint à répliquer Morgan, sans sarcasme.
- Je trouve pas ça juste, marmonna Brock. Je trouve pas ça juste quand un homme n'a pas besoin de ce qu'il a.
- J'en ai besoin.
- Pour quoi faire, hein ? (Son sourire était redevenu amusé, étirait ses lèvres et plissait la peau autour de ses yeux.) Un curé comme vous, il a besoin de tout ça pour quoi faire ?
- Pour pisser.
Morgan ferma sa braguette, s'éclaircit la gorge, cracha dans la cuvette et tira la chasse.
Morgan se sentit soudain soulagé et très excité. Ainsi, il n'aurait pas à prendre de risques avec la police locale. S'ils arrivaient sains et saufs à La Havane, il pourrait disparaître bien avant qu'on se mette à compter les passagers. Tout ce qu'il lui fallait, c'était son passeport au nom de Jon Martin, son bréviaire et le rideau de fumée qui lui était pratiquement garanti par les ravisseurs eux-mêmes. Il pouvait se perdre n'importe où, à Cuba. Personne n'aurait l'idée de venir le chercher là-bas. Nom d'un chien, il arriverait peut-être quand même à sortir de ce merdier !
- Salut, dit-il.
- Salut, mon Père.
Elle sourit, puis ferma les yeux et se mordit les lèvres. Des larmes jaillirent sous ses paupières fermées et lui coulèrent sur le visage.
Morgan se pencha et lui caressa légèrement la joue. Ses larmes étaient tièdes. Elle tremblait. Il regarda son visage et y vit une tendresse, une gentillesse qui lui serrèrent la gorge et le firent presque se sentir coupable. Sans réfléchir, presque sans comprendre ce qu'il faisait, il se pencha plus près et effleura de ses lèvres la bouche de Stella. Il sentit le goût salé de ses larmes. Elle frissonna et retint son souffle comme si elle avait peur de respirer. Morgan l'embrassa encore, toujours doucement, mais avec plus de sentiment, laissant le soulagement qu'il ressentait remonter à la surface et déborder dans la chaleur de Stella. Et soudain, Stella fut dans ses bras, le serrant très fort et lui rendant son baiser avec une ardeur qui l'étonna.