LES DISPARUS
Ils laissent derrière eux un doute sans limite.
Car, sombres dans l’azur d’un soir insidieux,
L’évanouissement de ces hommes imite
La disparition des marins et des dieux !
Beaucoup reparaîtront dans la maison ravie ;
Mais d’autres, pour lesquels on diffère les pleurs,
Déjà morts, sentiront se prolonger leur vie
Du temps qu’il faudra mettre à mourir dans les cœurs.
Peut-être on souffre moins quand la mort dont on souffre
A fermé devant nous sa porte de rocher ;
Mais ce mot « disparu » reste ouvert comme un gouffre
Au fond duquel les yeux s’obstinent à chercher.
Comment croire à des fins que nul signe ne marque ?
Comment persuader la maison dont le seuil
A du berceau, jadis, pu voir entrer la barque.
Et n’a pas vu sortir le vaisseau du cercueil ?
La douleur qui n’a pas sa date nécessaire
S’assied comme un aveugle au sein d’un carrefour ;
Et ceux-là dont la mort est sans anniversaire
Ne cesseront jamais de mourir chaque jour.
L’espace est devenu leur vague sépulture.
Où vont-ils ? où sont-ils ? On ne sait rien, sinon
Qu’ils ont réalisé la gloire la plus pure,
Puisqu’ils ne seront plus qu’une âme dans un nom !
Ceux qu’on n’a pas vus morts ont continué d’être.
Il est un endroit pâle où tous les Disparus
Attendent, pour pouvoir tout à fait disparaître.
L’instant où de leur mort on ne doutera plus.
Les morts ne sont pas morts qu’on croit vivants encore ;
Et dans une clairière où viennent s’entrouvrir
Tous les sentiers hagards qui mènent à l’aurore.
Ces morts mystérieux attendent de mourir.