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Citation de Charybde2


Au Cap, Olive rencontra un romancier qui était sur les routes depuis un an et demi, avec son mari, pour assurer le service après-vente d’un livre qui s’était vendu quatre ou cinq fois plus que Marienbad.
« Nous essayons de voir combien de temps nous pouvons voyager avant d’être obligés de rentrer à la maison. » L’auteur se prénommait Ibby, diminutif d’Ibrahim, et son mari s’appelait Jack. Ils étaient assis tous les trois, un soir, sur le toit en terrasse de l’hôtel, encombré d’écrivains qui participaient à un festival littéraire.
« Vous cherchez à retarder le moment du retour ? demanda Olive. Ou vous aimez simplement voyager ?
– Les deux, répondit Jack. Ça me plaît d’être sur la route.
– Et notre appartement est assez loche, dit Ibby, mais nous n’avons pas encore décidé ce que nous allonrs faire. Déménager ? Rénover ? L’un ou l’autre. »
Il y avait des dizaines d’arbres sur le toit, dans d’énormes jardinières, avec de petites lumières qui scintillaient dans les branches. On entendait de la musique, un quatuor à cordes. Olive portait sa robe de designer ultrachic, une robe en lamé d’argent qui lui tombait aux chevilles. Ça, c’est l’un des moments glamour, se dit-elle, le mémorisant soigneusement afin de pouvoir y puiser plus tard de quoi se régénérer. La brise diffusait un parfum de jasmin.
« Moi, dit Jack, j’ai entendu une bonne nouvelle aujourd’hui.
– Dis-moi, le pressa Ibby. J’ai passé toute la journée dans une espèce de tunnel festivalier. Blocus sur les nouvelles de l’extérieur.
– La construction vient de commencer sur la première des Colonies Lointaines. »
Olive sourit et faillit parler, mais se trouva provisoirement à court de mots. Les plans pour les Colonies Lointaines avaient débuté quand ses grands-parents étaient enfants. Elle se souviendrait toujours de cet instant précis, pensa-t-elle, de cette réception, de ces gens qu’elle aimait beaucoup et ne reverrait peut-être jamais. Elle serait en mesure de raconter à Sylvie où elle se trouvait exactement quand elle avait appris la nouvelle. Depuis combien de temps n’avait-elle pas éprouvé un authentique émerveillement ? Cela remontait à un moment. Elle fut inondée de bonheur.
« À Alpha du centaure ! » dit-elle en levant son verre.

À Buenos Aires, Olive rencontra une lectrice qui tenait absolument à lui montrer son tatouage. « J’espère que vous ne trouverez pas ça bizarre », dit la femme en remontant sa manche pour révéler sur son épaule gauche une citation du livre – Nous savions que ça allait arriver – tracée d’une belle écriture cursive.
Olive en eut le souffle coupé. Ce n’était pas simplement une réplique de Marienbad, c’était un tatouage qui figurait dans Marienbad. Dans la seconde moitié du roman, son personnage Gaspery-Jacques avait cette phrase tatouée sur le bras gauche. Vous écrivez un livre avec un tatouage fictif et voilà que celui-ci prend corps dans la réalité ; après ça, presque tout semble possible. Elle avait déjà vu cinq tatouages semblables, mais c’était toujours aussi extraordinaire d’observer comment la fiction pouvait déteindre sur le monde et laisser une marque sur la peau de quelqu’un.
– C’est incroyable, dit-elle dans un murmure. C’est incroyable de voir ce tatouage dans le monde réel.
– C’est la phrase de votre livre que j’ai préférée, dit la femme. Elle est vraie dans tellement de domaines, n’est-ce pas ?

Mais est-ce que tout ne paraît pas évident avec le recul ? Dans le dirigeable qui planait à basse altitude vers la République du Dakota, Olive regardait par le hublot le crépuscule bleuté sur les prairies, essayant de trouver une certaine paix dans le paysage. Elle avait reçu une nouvelle invitation pour un festival sur Titan. Elle n’y était pas retournée depuis son enfance et n’en gardait que le vague souvenir du delphinarium bondé, d’un pop-corn curieusement sans saveur, de la brume jaunâtre du ciel diurne – elle était allée dans une colonie dite Réaliste, l’un des avant-postes où les colons avaient opté pour des dômes transparents afin d’expérimenter les véritables couleurs de l’atmosphère titanienne – et aussi le souvenir de pratiques étranges du genre de celle qui consistait pour les ados à peindre sur leurs visages des grands carrés de couleur semblables à des pixels, qui étaient censés déjouer les logiciels de reconnaissance faciale mais qui présentaient l’inconvénient de les faire ressembler à des clowns dérangés. Devait-elle aller sur Titan ? Je veux rentrer à la maison. Où était Sylvie en cet instant ? C’est quand même plus facile que d’avoir un emploi de bureau, ne l’oublie pas.
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