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Citation de Charybde2


Lundi 16 août 2021
Je suis dans l’antichambre du pays : un TGV qui m’y emmène à 300 km/h. J’aime cet espace-temps si particulier du voyage. D’ailleurs, dans la famille, le train de nuit de la ligne Paris-Briançon s’appelle, depuis le plus jeune âge de nos enfants, le « train magique ». Non seulement il abolit l’espace noir au-delà des vitres, mais il abolit aussi le temps entre le départ et l’arrivée : on s’installe dans les couchettes alors que le train s’ébranle lentement de son quai de grisaille, gare d’Austerlitz, et déjà, de l’autre côté d’un sommeil bercé par son roulis, le soleil caresse les montagnes enneigées, quelque part entre Gap et Guillestre.
Cette fois-ci, la promesse est belle : un stop à Briançon pour voir Hugues Chardonnet, qui suit son chantier du chalet d’accueil de l’association 82-4000, un dîner avec des amis chers, et puis demain départ lever 4 h 30, j’emmène un copain à l’arête nord-est de la Tête des Toillies, une voie aérienne que j’aime, dont les longueurs tissent la frontière italienne d’un ressaut à l’autre.
Je suis tiré de ma torpeur par un SMS. C’est Stéphanie Bodet. Charlie Buffet, le directeur éditorial de Guérin, voudrait qu’on se parle, une idée de livre où Stéphanie recueillerait, dans un dialogue avec moi, des impressions du monde vu d’en hait. J’ai rencontré Stéphanie par Arnaud Petit, il y a quelques années, nous avons grimpé ensemble, en Norvège, en Provence, dans leur fief de Buoux, à Venasque, aux Calanques. J’ai une grande admiration pour ce qu’elle a vécu, ce qu’elle fait, ce qu’elle est, un papillon sur les falaises, pour son regard sur la vie, et pour la puissance évocatrice de son écriture, aussi. Comme souvent, dans ce message, elle s’efface, m’encourage, et nous met simplement en relation, Charlie et moi.
Retour dans la vallée, après quelques nuits sous les étoiles. Quand je le contacte, Charlie est au Stromboli. Il doit sentir une forme de scepticisme dans mon message. « Je confierais mes envies de livre à l’énergie tellurique, elles reviendront irrésistibles » conclut son SMS.
C’est vrai. Je ne me vois pas très bien publier chez Guérin, au côté des géants, alpinistes, grimpeurs, conquérants de l’inutile dont les aventures peuplent mon imaginaire depuis des décennies, retranscrites dans les « petits livres rouges » de la maison chamoniarde. Charlie doit le sentir, qui m’envoie quelques-unes des dernières publications de Guérin, pour donner un peu d’incarnation au projet.
Mi-septembre, nous décidons de parler de tout cela en nous donnant rendez-vous dix jours plus tard au refuge de la Blanche, dans ce vallon de Clausis chargé de mémoires vivantes, pour moi, aux confins du Queyras.
Ce livre est né de ces quarante-huit heures passées dans les terres hautes, à la Blanche et au refuge de Furfande. Le vallon a revêtu des couleurs d’automne, les plus belles. La pointe de certains mélèzes vire déjà au jaune. Nous sommes accueillis par la neige. Thé, café, tablette de chocolat, tarte aux myrtilles. Un créneau météo pour sortir la corde et aller voir un peu plus haut. Les averses d’automne. La lumière déchirée, nette, après la pluie. Flambée du poêle à bois. Le chat du refuge. Les conversations s’étirent, dans le temps, dans l’espace et tissent des liens entre le vécu, les rêves, l’imaginaire. Au gré de nos explorations dans les souvenirs, Charlie évoque aussi ses rencontres, ses moments, ses liens avec les géants. Christophe Profit et la montée au refuge des Grands Mulets, en suivant la trace sûre de la fouine entre les séracs, Walter Bonatti. Tous les autres. Peu à peu, dans ces échos lointains, si proches, s’ouvre en moi un espace que j’imagine pour une parole. Des bouquins épars sur les étagères de la salle commune, des topos, des souvenirs, des envies se succèdent pour nommer, partager les lieux, les aventures, les personnes. L’envie de partager est là, mais je n’ai pas envie d’écrire, pas seul. Sans nous le dire, nous trouvons chacun notre rôle au fil des heures. Charlie note, n’oublie pas, revient, propose, organise. Je me laisse guider. Nous nous sommes encordés dans l’écriture. Nous nous mettons en marché. Pour un livre, comme une traversée entre deux ascensions. Le ciel est étoilé. La voie sera belle.
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