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Citation de SZRAMOWO


La première fois, c’est lui qui s’est assis à côté de moi. Je ne lui ai tout d’abord pas prêté attention, je n’ai pas levé le visage vers lui, je n’ai pas détaillé ses traits.
C’était au printemps dernier. Je regagnais Paris par le train. J’écrivais à cette époque l’autobiographie d’une jeune chanteuse et cette occupation m’avait conduite à Genève. La voie de l’écriture anonyme, je l’avais empruntée trois années auparavant pour améliorer mes revenus – je suis correctrice dans un quotidien. « Plume », m’avait-on dit à l’époque, expression à laquelle je préférais de loin celle d’« écrivain fantôme », ghostwriter en anglais, qui me correspondait mieux.
Chose rare, ce jour-là l’entretien s’était mal passé. Alicia, tel était le nom d’artiste de la jeune fille, était restée mutique. Qu’importe, j’avais l’habitude des enfants gâtés du show-business. Je n’avais pas vraiment besoin d’elle pour écrire sa vie.
Je somnolais donc en toute quiétude, en cette fin d’après-midi, à ma place de première payée par la maison de disques, au retour d’un rendez-vous avec Alicia qui serait probablement suivi d’une dizaine d’autres. J’espérais qu’ils ne seraient pas tous du même acabit.
J’étais à la recherche, dans cette somnolence, de la phrase d’attaque du livre, de sa tonalité, quand mon voisin de voyage attira mon attention d’un simple geste : il sortit d’une pochette de cuir noir un paquet de feuilles blanches.
C’était un voisin de voyage quelconque, une présence indifférente, le genre de corps que l’on regrette vaguement de découvrir assis à côté de sa propre place… On espère toujours pouvoir faire le voyage seul, étaler un peu ses jambes et ses affaires.
L’homme avait été discret jusqu’à présent. Mais lorsqu’il posa ses feuilles sur la petite table amovible rivée au fauteuil devant lui et, avec un stylo-plume pris dans la poche intérieure de son costume, se mit à écrire, son geste me fit l’effet d’un signal.
J’ai tout de suite su qu’il ne s’agissait pas d’une quelconque prise de notes, tout de suite perçu que cet homme n’était pas en train de faire le compte rendu d’une banale journée de travail. Il y avait une fièvre dans son mouvement, et, dans ce wagon, à cette heure-ci, cette fièvre était indécente.
Au milieu de la faune de banquiers alentour, apparaissait un humain. C’était remarquable.
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