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Citation de Jiby


Je pense à tous ceux qui, comme vous, ont choisi ce métier, le plus beau du monde, vous avait-on dit. Il y a vingt ans ou quelques mois à peine. Comme on part à l'aventure.

Un peu inquiets, mais se raccrochant à un stock personnel d'images colorées : de classes enjouées, d'enfants ou d'adolescents, de parents reconnaissants, de collègues solidaires et d'administrations facilitantes.

Et qui êtes passés de déconvenues en renoncements. Je pense à votre détresse, à la boule qui vous serre le ventre parfois le dimanche soir ou la veille de rentrée.

Je pense à cette impuissance honteuse qui vous saisit lorsque tout ne se passe pas comme on vous l'avait laissé entendre, vous qui pour beaucoup jusque-là, aviez été de très bons élèves. Je pense à cette colère et à cette autodéception dévastatrices certaines fois, et très difficiles à partager avec quiconque ne les éprouve au quotidien.

Parce que personne ne veut donner la main à Justin, cinq ans, et que, malgré tous vos efforts, toutes vos remontrances vis-à-vis des autres, il reste seul dans la cour de l'école et que vous êtes totalement désarmé devant sa tristesse.

Parce que Sara a encore été retrouvée en larmes dans les toilettes du collège et qu'elle ne veut rien vous dire, alors même que vous subodorez que c'est grave.

Parce que Gustave passe son temps à faire des grimaces et des cris d'animaux, que rien ne le calme et qu'il empêche les autres de se concentrer, ce que ne manquent pas de vous faire savoir plus ou moins subtilement les autres mamans.

Parce que la classe a encore écrit une insulte concernant votre physique sur le tableau pour vous faire craquer et qu'elle a réussi.

Parce qu'une mère d'élève a hurlé en réunion parents-profs que vous étiez tous des incapables et des lâches lorsque son fils s'est fait racketter.

Parce que votre conseiller pédagogique vous a dit qu'il fallait affirmer votre posture et que vous êtes incapable de comprendre ce que cela signifie concrètement.

Parce qu'en conseil de classe, un père délégué s'est montré très pessimiste sur le fait qu'avec tout ce chahut dont lui parle sa fille (l'une des responsables incontestées dudit brouhaha), vous soyez capable de terminer le programme, rapport au brevet.

Parce que lorsque vous vous êtes plaint des 4º 2, en indiquant en salle des profs que vous pensiez sérieusement à des modalités d'assassinat collectif, votre collègue de français, qui de façon énervante arbore systématiquement un sourire serein et légèrement méprisant, l'a agrandi en prononçant très distinctement ces mots : « Ah, c'est marrant, avec moi, ça se passe SUPER bien... »

Parce qu'au mariage de votre cousine, le mois dernier, lorsque vous avez dit qu'enseigner en moyenne section n'était pas un métier facile, vous avez clairement vu le regard ironique que plusieurs personnes ont échangé. Et vous avez décidé de vous taire en les maudissant in petto, prenant sans même vous en rendre compte un air extrêmement revêche. Ce qui contribuera sans doute à conforter leur point de vue selon lequel selon lequel "les profs, franchement, toujours en train de se plaindre. Quand tu regardes pourtant leur nombre de jours de vacances..."

Parce qu'en tombant à nouveau et par hasard sur le clip contre le harcèlement scolaire commandé par l'ancienne ministre de l'Éducation nationale qui met en scène une prof acariâtre à chignon, dont la craie grince sur un tableau noir des années cinquante, et qui rappelle à l'ordre injustement un enfant roux (évidemment roux) et harcelé, vous vous êtes demandé dans quelle estime pouvaient bien vous tenir ceux-là même qui étaient censés vous aider à gérer votre quotidien.
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