L'impunité n'est pas envisageable.
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Ce tome fait suite à Savage Dragon : Invasion (épisodes 175 à 180) qu'il faut avoir lu avant. Il regroupe les épisodes 181 à 186, initialement parus en 2012/2013, écrits, dessinés et encrés par Erik Larsen qui a également réalisé les couvertures. La mise en couleurs a été réalisée par Nikos Kutsis & Mike Toris.
Dragon se trouve à bord de l'immense vaisseau spatial nation Krylan : il est en train de discuter avec Lorella. Celle-ci lui reproche d'avoir ordonné le massacre des extraterrestres qui avaient envahi la planète Kalyptus, celle d'où est originaire Vanguard. Elle l'informe qu'il va bientôt affronter Krull, le fils de l'empereur Kurr, c’est-à-dire le fils de Dragon lui-même. Elle le prévient que son fils a bénéficié du même entraînement que lui-même avait reçu dans le passé. Dragon entre dans l'arène, et Krull se jette littéralement sur lui. Dragon le reçoit avec un direct puissant, ce qui projette son fils contre la paroi de l'arène à quelques mètres de là, sa tête s'enfonçant dans le mur. Son père se moque de lui : visiblement, il n'a pas tiré autant d'enseignements qu'il l'aurait dû de son entraînement, et plus il semble avoir besoin d'aide pour extraire sa tête du mur. Du coup, il le frappe, ainsi que le mur. Krull finit par se remettre sur pied et attaque à nouveau son père. Ce dernier esquive sans peine et il lui en colle trois autres qui l'envoient mordre la poussière. Puis il se met à haranguer la foule : il leur parle de démocratie, il critique leur organisation qui favorise l'inertie, de ne jamais remettre en question leurs croyances. Il leur explique qu'ils n'ont d'autre choix que de saisir l'occasion de changement qu'il a crée pour eux, et de pouvoir ainsi enfin quitter le vaisseau qui leur sert de pays.
Pendant ce temps, Krull a pu récupérer et il se jette à nouveau sur son père. Celui-ci l'évite facilement, et il lui laisse le temps de se relever et de l'attaquer encore une fois. Il pare son coup avec une facilité humiliante, puis lui assène un nouveau coup qui l'envoie au tapis pour de bon. Dragon est donc confirmé dans son rôle d'empereur. Il réaffirme ses décisions : la tenue d'élections, l'installation sur la planète Kalyptus. Sur Terre, les informations diffusent l'image traumatisante de dieu gisant dans son sang, son corps salement amoché, abattu par erreur par le pilote d'un avion de chasse militaire. Dans le vaisseau, Dragon se parle à lui-même : il a cinquante ans. Son fils entre dans la pièce : Dragon lui explique qu'il n'a jamais été question qu'il le tue en combat singulier. Sur Terre, Malcolm Dragon et Rex Dexter marchent au milieu des ruines d'un large quartier de Chicago. Rex estime que la vie va revenir, et que c'est important que la vie continue, après ces épreuves traversées ensemble. Sur Kalyptus, Dragon est suivi par une dizaine de personnes : il constate que les bâtiments sont encore en relativement bon état et de dimensions un tout petit peu plus grandes que nécessaires pour son peuple. Sur Terre, Overlord survole les décombres de Chicago. Dans l'espace, les Krylans ont élu Dragon comme leur empereur.
Derrière cette couverture rouge et noir qui arrête le regard, le lecteur sait bien ce qu'il va trouver : un récit de superhéros direct et brutal, avec une dose de comédie dramatique, et une progression réelle pour les personnages, même si elle n'est pas rapide. C'est tout l'avantage de cet univers quasiment auto-contenu, l'œuvre d'un unique artiste. Après une minisérie en 1992, Erik Larsen a entamé une série presque mensuelle, dont il a été l'unique auteur depuis le début (à l'exception de l'épisode 13 originel, mais refait par la suite), ayant donné lieu à quelques séries dérivées, et quelques miniséries, existant depuis une trentaine d'années. La force créative de son auteur a permis de développer un univers d'une incroyable richesse, et d'une incroyable inventivité, dans un registre purement superhéros, sans l'effet d'inertie frappant l'univers partagé de DC ou de Marvel. Toutes ces années plus tard, rien ne semble entamer l'enthousiasme très communicatif de l'artiste. Par exemple, le lecteur sait que Dragon va dérouiller, et que Larsen prend la représentation de la violence au sérieux. Celle-ci est une composante essentielle dans la qualité de divertissement des comics de superhéros. Pour qu'elle fonctionne, il ne faut pas se contenter d'un échange de coups de poing ou de rayons destructeurs joliment colorés, il faut que le lecteur sente l'implication des personnages, ressente l'impact des coups. De ce point de vue, Larsen est le digne héritier de Jack Kirby en termes d'impact. Certes la violence est plus graphique, ce qui la rend plus sadique. Mais dans le fond, l'artiste utilise les mêmes recettes que Kirby, avec une grande maîtrise : grands gestes puissants, focalisation sur le mouvement plutôt que sur l'impact, coups de poing qui envoie l'adversaire valdinguer à travers la case, et même hors de la case, etc.
S'il a déjà lu des tomes précédents, le lecteur sait qu'Erik Larsen est un auteur qui aime les comics de superhéros, qui en utilise les conventions de genre au premier degré, en augmentant un peu le niveau de violence, et avec une fibre comédie romantique moins naïve. Dans chaque épisode, il prend soin d'intégrer au moins un combat, ainsi que des scènes d'action spectaculaires, comme un combat dans une arène, un combat dans un cimetière, un voyage dans l'espace, une nouvelle invasion, et encore de nombreux combats. Comme d'habitude, le lecteur est fort impressionné par la richesse de cet univers partagé au sein d'une unique série, avec de nombreux personnages, tous facilement mémorisables qu'il s'agisse des héros comme Dragon, Malcolm ou Battle Girl, ou qu'il s'agisse des criminels, avec bien sûr Overlord, mais aussi PowerHouse (dit Tête de poulet). Le lecteur retrouve d'autres conventions de genre pleinement assumées et exagérées : à commencer par la largeur du torse de Dragon, mais aussi le tour de poitrine de Battle Girl, la finesse de sa taille, sans oublier un ou deux plans culotte. Sous réserve qu'il ne soit pas allergique à ces caractéristiques caricaturales, la familiarité avec les comics de superhéros agit à plein, d'autant plus que l'amour du créateur pour le genre apparaît dans chaque page, avec une forte influence de Jack Kirby, très bien maîtrisée, ce qui n'est pas donnée à tout le monde.
Le lecteur familier des comics se sent encore plus chez lui avec les personnages classiques présents. Il a déjà refait connaissance avec Daredevil (Bart Hill), personnage tombé dans le domaine public, créé en 1940 par Jack Binder, et intégré à la série Savage Dragon à partir de l'épisode 141 en 2008. S'il est attentif, il voit passer Billy Batson le temps d'une case. Dans ces épisodes, l'auteur introduit également The Claw, créé par jack Cole en 1939, dans Silver Streak Comics 1. Il reconnaît bien également la composante entre comédie dramatique et comédie de situation. La grande différence avec les séries habituelles de DC ou de Marvel est que l'auteur a conservé la propriété intellectuelle de ses personnages, et qu'il les écrit en les faisant évoluer. Il ne s'interdit pas de faire usage de résurrections, mais il ne défait pas ce qu'il a construit pour autant. Par exemple, Dragon est père, et son fils a grandi, étant dans ses dernières années de l'adolescence. Avec ce parti pris peu commun dans les comics avec un superhéros récurrent, l'auteur réintroduit une forme de danger : il est peu probable que le personnage principal y laisse sa peau, en revanche il peut être blessé au point d'être réduit à l'inactivité pendant plusieurs numéros. Il peut être remplacé par un autre héros, et les personnages secondaires peuvent mourir, y compris sans espoir de retour par un tour de passe-passe de type résurrection en carton. Du coup, l'implication émotionnelle du lecteur connaît un regain. Malcolm Dragon est susceptible de laisser sa peau dans un combat dépassant sa stature. Angel Murphy n'est pas à l'abri d'un mauvais coup, surtout quand on repense au fait que dieu lui-même est mort dans le tome précédent. Même les résurrections ne sont pas assurées, et l'auteur ne se gêne pas pour jouer sur cette incertitude : tel personnage va-t-il revenir d'entre les morts ? Est-ce bien elle ou lui ?
Erik Larsen joue avec ces conventions attendues, avec la possibilité de les respecter à la lettre ou d'en prendre le contrepied, avec l'exagération de la violence (Ce poing qui traverse un crâne de part en part ! dans un dessin en double page bien sûr), avec la liberté de modifier le statu quo à sa guise (un peuple extraterrestre exterminé), et avec les pouvoirs grotesques (le corps impossible de Double Paige qui porte bien son nom). Chaque élément pris un par un peut s'avérer juste amusant (ce qui est déjà pas mal). L'accumulation de tous ces écarts, de toute cette fougue restitue tout le plaisir régressif à ce comics de superhéros, ainsi qu'un réel suspense. Si c'est marqué sur la couverture, ça veut vraiment dire que Dragon va passer au tribunal, et le verdict d'acquittement n'a rien d'assuré, bien qu'un prêtre ait organisé une église qui le reconnaît comme dieu. Le tout bénéficie d'une forme de bonne humeur, avec des moments humoristiques réussis comme Angelica Murphy tentant d'expliquer ce qui est arrivé à Dragon et que si c'était son corps qui a commis des atrocités, ce n'était pas son esprit.
Les années passent et Erik Larsen ne perd pas la flamme : Savage Dragon est toujours aussi dynamique et inventif, brutal et fort en amitié et en amour. Le lecteur se régale de ce comics de superhéros qui a assimilé la puissance de Jack Kirby et une partie de son inventivité, en assumant pleinement les éléments les régressifs que sont la violence et une forme de caricature des corps masculins comme féminins. Cela donne une lecture très dynamique, regorgeant d'action et de suspense avec des personnages très attachants.
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