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Citation de Charybde2


Zapparoni disposait d’un état-major d’excellent spécialistes. Ce qu’il préférait, c’était voir les inventeurs qui lui soumettaient leurs modèles s’attacher définitivement à lui. Ils reproduisaient leurs inventions, ou y apportaient des variantes. Celles-ci étaient surtout nécessaires dans les branches soumises à la mode, comme celle du jouet. On n’avait rien vu d’aussi incroyable dans ce domaine, avant l’ère zapparonienne – il créait un royaume pour Lilliputiens, un monde animé de nains qui fascinaient les adultes, et non pas seulement les enfants, jusqu’à leur faire perdre, comme en rêve, la notion du temps. Ces jeux dépassaient ceux de l’imagination. Mais ce théâtre de Lilliput, il fallait l’orner tous les ans, pour Noël, de nouveaux décors, y faire monter des vedettes nouvelles.
Zapparoni allouait aux travailleurs qu’il employait des traitements de professeurs d’Université, voire de ministres. Ils le lui rendaient largement. Un contrat dénoncé eût entraîné pour lui des pertes irrémédiables, et jusqu’à une catastrophe, si le lâcheur avait poursuivi son travail chez un concurrent, soit dans le pays même, soit, pis encore, à l’étranger. La richesse de Zapparoni, le monopole dont il jouissait, n’étaient pas seulement fondés sur des secrets de fabrication, mais aussi sur des méthodes qui ne pouvaient être acquises qu’après des dizaines d’années, et qui, même alors, n’étaient pas à la portée du premier venu. Et cette technique collait au corps du travailleur, à ses mains, à sa tête.
Il est vrai qu’on n’en voyait guère désireux de quitter une place où on les payait et les traitait comme des princes. Mais il se rencontrait des exceptions. Une vieille sagesse nous dit que l’homme est insatiable. Et, cette règle mise à part, Zapparoni avait affaire à un personnel décidément difficile à manier ; à force de fréquenter des objets minuscules et souvent bizarres, ils devenaient à la longue maniaques et bourrelés de scrupules ; leur travail produisait des caractères qui trébuchaient sur un grain de poussière et trouvaient un cheveu dans toutes les soupes. C’étaient des artistes qui fabriquaient sur mesure des fers pour pattes de puce, et les adaptaient. Ils vivaient à l’extrême limite du pur et simple imaginaire. Le monde d’automates sur lequel régnait Zapparoni, assez étrange en soi, tirait sa vie d’esprits qui s’adonnaient aux plus curieuses des marottes. Dans son bureau privé, on se serait souvent cru, disait-on, chez le médecin-chef d’un asile de fous. Le fait est qu’il n’existait pas encore de robots à fabriquer les robots. C’eût été la pierre philosophale, la quadrature du cercle.
Zapparoni était bien obligé de tenir compte de ces faits. Ils étaient impliqués par la nature même de ses usines. Il s’en tirait sans maladresse. Dans son usine de modèles, il se réservait les rapports avec le personnel et y déployait tout le charme, toute la souplesse d’un imprésario méridional. Il frôlait dans ce domaine la limite du possible. Être un jour exploité comme par Zapparoni, c’était le rêve de tous les jeunes gens à vocation de technicien. Il était rare que son sang-froid, sa bonne grâce lui fissent défaut : alors éclataient des scènes épouvantables.
Bien entendu, il cherchait à se couvrir par ses contrats d’embauche, fût-ce sous les apparences d’une parfaite amabilité. Ils étaient conclus à vie, prévoyaient des échelles de salaire, des primes, des assurances et des sanctions forfaitaires, en cas de rupture de contrat. Quand on avait signé un papier avec Zapparoni et qu’on pouvait se dire maître ou auteur dans ses usines, on avait fortune faite. On possédait sa maison, son auto, ses congés payés à Ténériffe ou en Norvège.
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