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Citation de Charybde2


« Qui est-ce qui n’a pas son casier judiciaire, à l’heure actuelle ? Toi, peut-être, parce que tu as toujours su nager ; mais à part cela, rien que les planqués de la guerre et de la paix. »
Twinnings se mit à rire.
« Ne t’énerve pas, Richard – nous savons tous que tu as quelques taches à ton écusson. Mais la différence, c’est que tes condamnations sont les bonnes. »
Il était payé pour le savoir, puisqu’il avait siégé au jury d’honneur qui m’avait jugé : non le premier, quand j’avais été cassé de mon grade pour tentative de haute trahison, après avoir été condamné, pour commencer, par le conseil de guerre – je n’appris ces deux sentences qu’en Asturie, où elles me furent profitables. Non, je veux parler du second jury d’honneur, qui me rétablit dans mon grade. Mais qu’est-ce qu’un jury d’honneur, quand le terme d’honneur, lui aussi, est de ces mots qui sont devenus hautement suspects ?
Je fus donc réhabilité par des gens comme Twinnings, qui s’était replié, le malin, chez ses parents d’Angleterre. À tout prendre, c’eut été à lui de se justifier. Et le curieux, c’est que la condamnation subsistait dans mes papiers. Les gouvernements changent, les dossiers sont inébranlables. Restait ce paradoxe que dans les registres de l’État, le fait d’avoir risqué sa peau pour lui était inscrit, note indélébile, sous la rubrique de la trahison. Quand on mentionnait mon nom, les scribouillards des bureaux, que moi et mes pareils avions hissé sur leurs ronds-de-cuir, faisaient la petite bouche.
Outre cette grande affaire, mes pièces contenaient quelques broutilles – je ne le nierai point ; entre autres l’un de ces bons tours dont notre esprit accouche quand nous avons trop de chance : il remontait encore aux temps de la monarchie. Il y avait là, entre autres affaires, une « provocation en duel ». On avait aussi pris note de la profanation d’un monument, encore l’un de ces mots qui se fondent sur un respect d’autrefois, à une époque où les monuments n’en sont plus. Nous avions culbuté un bloc de béton qui portait un nom – du diable soit si je me souviens duquel. D’abord, nous avions bu plus que de raison, et puis, rien ne s’oublie plus facilement de nos jours que les noms qui, hier encore, étaient dans toutes les bouches et sur toutes les plaques des rues. L’ardeur à leur dresser des monuments est peu commune, et souvent elle ne survit guère à leurs porteurs.
Il est de fait que tout cela, non seulement m’avait nui, mais n’avait servi à rien du tout. Je n’aimais plus y repenser. Mais les autres en gardaient fidèlement la mémoire.
Donc, Twinnings trouvait que mes condamnations étaient les bonnes. Mais, de nouveau, il me semblait peu rassurant que Zapparoni les tint pour telles. Car qu’est-ce que cela signifiait ? Cela voulait dire qu’il cherchait un bâton à prendre par les deux bouts : l’un sûr, par lequel on pût le tenir, mais aussi un autre. Il avait besoin de quelqu’un qui fût sérieux, mais pas tout à fait sérieux.
Le peuple dit d’un factotum comme il en cherchait un : « Quelqu’un avec qui on pourrait voler des chevaux. » La formule doit remonter à des époques où le vol de chevaux passait pour une entreprise périlleuse, certes, mais sans rien de déshonorant. Si le coup réussissait, il était glorieux ; sinon, on était branché au saule, ou bien on y laissait ses oreilles.
Cette tournure convenait assez exactement à ma situation. Il s’y trouvait encore, à dire vrai, une petite différence : Zapparoni cherchait, de toute évidence, un homme avec qui il pût voler des chevaux, tout en étant trop grand seigneur pour se mêler personnellement de l’expédition. Mais à quoi bon ces réserves ? Il y avait aussi un autre diction adapté à mon état, savoir : faute de grives on mange des merles.
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