Toutes les fois que Paul le regardait ainsi, le comte, par un geste en apparence machinal, arrachait une fleur d'une jardinière placée près de lui et la jetait de façon à couper l'effluve de l’œillade irritée.
- Qu'avez-vous donc à fourrager ainsi ma jardinière ? s'écria miss Alicia Ward qui s'aperçut de ce manège. Que vous ont fait mes fleurs pour les décapiter ?
-Oh ! rien, miss ; c'est un tic involontaire, répondit Altavilla en coupant de l'ongle une rose superbe qu'il envoya rejoindre les autres.
-Vous m'agacez horriblement, dit Alicia ; et sans le savoir vous choquez une de mes manies. Je n'ai jamais cueilli une fleur. Un bouquet m'inspire une sorte d'épouvante : ce sont des fleurs mortes, des cadavres de roses, de verveines, ou de pervenches, dont le parfum a pour moi quelque chose de sépulcral.
- Pour expier les meurtres que je viens de commettre, dit le comte Altavilla en s'inclinant, je vous enverrai cent corbeilles de fleurs vivantes.
Théophile Gautier - Jettatura (1834)