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Citation de Charybde2


On est bien, ici. Finalement. C’est comme ça, les hauteurs : cent mètres de verre à la verticale. L’air, ici, c’est de l’air à un état supérieur de pureté et c’est pour ça, aussi, qu’il paraît plus dur, presque compact par moments. Il plane comme une odeur de quincaillerie. La couche de bruit pèse comme de la suite et demeure en attente, là, en bas, comme un œil de pétrole très fin, croquant, une sorte de cadeau noir et brillant. Pas un oiseau ne passe. C’est qu’ils ont eux aussi leur propre strate, entre nous et, disons, nos dieux. Un vide habitable entre les lignes les plus hautes de la portée. A cet instant, je suis et je ne suis pas. Je ne fais peut-être que me montrer, me manifester, comme une macule discrètement gênante sur une lunette, une ombre intempestive dans cette zone chill-out. Je prends l’air, je l’oblige à devenir ma propriété le long de mes conduits animés. Vivante, je dégage encore une certaine chaleur et je dois être très ramollie, au-dedans. Au-dehors, je le suis plus qu’il n’y paraît, presque un produit de pâtisserie, un objet en cire tiède verni, attrayant comme une première ligne. Chaque cellule se reproduit, indépendamment de moi, et en même temps me reproduit, me change en une entité en bonne et due forme. Si elles cessaient de travailler, toutes ces parties microscopiques de moi-même, ne serait-ce que quelques secondes… Les entités indivisibles ont aussi droit à une pause, comme moi, comme tous les génies du pays. Travailler avec eux m’oblige à m’assimiler à eux, à être, comme eux, dans cette belle enceinte de verre, un petit poisson rouge impersonnel. Aimablement décoratif. Dans certains restaurants, il y a des poissons comme ça à chaque table, dans des bocaux minuscules. Ils sont décoratifs, oui. Relaxants. Ils sont bien vivants, et pourtant il y a des gens qui prennent leur habitacle pour un cendrier. Les pauvres petites bêtes meurent intoxiquées par la chimie biocide des mégots. Mais elles ne sont que ça, hein ? Des objets décoratifs. De vaines vies.
Quel air pur ! Il n’y a pas beaucoup d’humidité, c’est bien. L’humidité a la manie de pénétrer dans les parties les plus vulnérables du corps. Je ne peux pas la souffrir. Je ne peux pas, je ne sais pas vivre avec l’humidité, elle s’infiltre dans des endroits insoupçonnés à l’intérieur de moi, comme de la lave visqueuse et glacée, elle occupe des espaces inconnus, me les rend présents, et ils m’incommodent. Il y a des parties du corps, comme des meubles encombrants, dont on ne sait que faire. Elles n’ont pas l’air démontables et les enlever serait trop dangereux. Elles doivent bien remplir une fonction, on a dû les incruster en moi, mais elles m’insupportent, et la seule façon d’échapper à leur influence, c’est de les ignorer. Se frayer un passage les yeux fermés et ne pas buter contre leur exubérance massive. Avancer les yeux fermés, comme c’est drôle ! Je n’avais pas pensé aux yeux. Les oiseaux volent les yeux ouverts et, pour qu’ils se laissent aller, il leur faut des courants d’air consistants. Être soutenus, et en même temps articulés, comme des marionnettes. Eux, ils peuvent se permettre de regarder. Mais quand quelque chose tombe… quand un petit oiseau tombe du nid, par exemple, il tombe les yeux ouverts ? Ils ont des paupières, les oiseaux ? Ou des glandes lacrymales de mamie fragile qui coulent sans arrêt ? À bien y regarder, elles ne sont pas comme des paupières humaines. Peut-être qu’elles ressemblent davantage aux panneaux japonais ou aux petits volets des avions et que les oiseaux peuvent les bouger aussi vite ou plus vite que nous, en un éclair. Je me demande, à présent, si j’ouvrirai les yeux. Ou bien s’ils s’ouvriront. Dans mon cas, il ne s’agit pas d’une chute quelconque. Elle ne sera pas accidentelle, je veux dire, il y aura une intention, ma volonté intentionnelle, un ordre écrit. Le moment venu, il n’y aura qu’à l’exécuter. Les yeux anticipent, explorent le monde, le corps réagit ensuite. Quel sens ça a de préparer son corps à la mort, quelques secondes avant qu’elle ne survienne ? La mort prend le corps, comme l’amour. Qu’elle le prenne donc à l’improviste.
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