Lorenzo. - Le Roi nous hait. Je ne parle pas de vous et moi, bien entendu. Je vous parle de Venise.
Giorgio. - Venise lui a donné sa femme.
Lorenzo. - Et, par voie de conséquence, il considère Venise comme sa belle-mère : avec méfiance.
Giorgio. - C'est grâce à nous qu'il a pu monter sur le trône.
Lorenzo. - C'est un genre de services que les rois ne pardonnent pas.
Giorgio. - Il devrait nous être reconnaissant.
Lorenzo. - Les rois n'ont pas sur ce chapitre les idées de tout le monde.
Giorgio. - Nos troupes, nos navires, notre argent...
Lorenzo. - Ils pèsent sur lui comme une hypothèque.
Giorgio. - C'est incroyable...Il vous reste un atout cependant.
Lorenzo. - La Reine ?
Giorgio. - La Reine, oui.
Lorenzo. - Depuis que vous êtes ici, combien de fois avez-vous pu la voir ? J'entends, la voir seule.
Giorgio. - A vrai dire, avec toutes ces fêtes, pas une fois.
Lorenzo. - Et vous êtes son frère...
Giorgio. - Lorenzo !
Lorenzo. - Quoi ?
Giorgio. - Dois-je comprendre que vous n'êtes même pas son amant ?
Lorenzo. - Même pas, non.
Giorgio. - Elle ne vous aime plus ?
Lorenzo. - Elle m'aime toujours. Elle souffre autant que moi.
Giorgio. - Mais alors ?
Lorenzo, évasif. - Des obstacles...
Giorgio. - Des obstacles ! Deux êtres qui s'aiment.
Lorenzo. - Deux êtres qui s'aiment sont, comme les autres, soumis aux lois de l'espace et du temps.
Giorgio. - C'est-à-dire ?
Lorenzo. - Que, pour passer des sentiments aux actes, il y a deux questions qui se posent : où et quand ? Caterina et moi, nous sommes ici deux otages, deux prisonniers, épiés, surveillés, la Vénitienne et le Vénitien, deux ennemis.
(Acte II. Scène III)