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Citation de tookash-14


Mais à l’époque on concevait encore des choses sous des couleurs les plus roses et à la lumière de la morale la plus paradisiaque. Il est de fait, à la vérité, que le socialisme naissant était alors comparé, même par certain de ses meneurs, au christianisme : il était pris en somme pour une correction et une amélioration du christianisme en fonction du siècle et de la civilisation. Toutes ces idées nouvelle d’alors, à Petersbourg, nous enchantaient, elles nous paraissaient éminemment saintes et morales, et surtout universellement humaines, destinées à devenir la loi de tout le genre humain sans exception. Bien avant la révolution parisienne de quarante-huit nous avions été saisi par l’influence fascinante de ces idées . Dès 1846 j’avais été pour ma part initié à toute la vérité de ce « monde régénéré » de l’avenir, à toute la sainteté de la future société communiste, par Biélinski . Toutes ces théories sur l’immoralité des fondements même ( des fondements chrétiens ) de la société actuelle, sur l’immoralité de la religion, de la famille, sur l’immoralité du droit de propriété, toutes ces utopies sur l‘abolition des nationalités au nom de la fraternité universelle, sur les méfaits de l’idée de patrie en tant que frein à l’évolution de l’humanité, et ainsi de suite, - tout cela exerçait des influences que nous étions incapable de surmonter, et qui au contraire captivaient nos coeurs et nos esprits par l’appel qu’elles faisaient à une certaines générosité d’âme. En tous cas les thèmes paraissaient grandioses, élevés infiniment au-dessus du niveau de conceptions alors dominantes - et c’était cela qui en faisait la séduction. Ceux d’entre nous, et j’entends non pas seulement ceux du cercle Piètrachevski, mais en général tous ceux qui furent alors contaminés, mais qui dans la suite répudièrent radicalement tout ce délire de rêveurs, ces ténèbres et ces horreurs préparées à l’humanité sous couleur de rénovation et de régénération, ceux-là, alors, ne connaissaient pas encore la cause de leur mal : aussi n’y pouvaient-ils pas résister. Dés lors, qui vous permet de penser que même un meurtre à la Niètchaïev nous aurait fait reculer - sinon tous certes, du moins certains d’entre nous - en ces temps ardents, parmi tant de doctrines qui empoignaient l’âme, au milieu des bouleversants événements européens que nous suivions alors, oubliant notre patrie, avec une fiévreuse tensions ?
Le monstrueux et répugnant meurtre d’Ivanov à Moscou a sans aucun doute été présenté par l’assassin Niètchaïev à ses victimes, les « niètchaïéviens », comme un acte politique et utile à la « grande cause commune » de l’avenir. Sinon il est impossible de comprendre comment quelques jeunes gens (quels qu’ils aient été) ont pu consentir à un si sombre crime. Encore une fois j’ai essayé dans mon romans Les démons, de décrire les motifs, multiples et de toutes sortes, qui peuvent entraîner des hommes, même les plus purs de cœur et les plus simples d’âme, à perpétrer un aussi monstrueux forfait. C’est bien là ce qu’il y a d’affreux, qu’on puisse chez nous commettre l’acte le plus infâme, le plus ignoble, sans être pour autant, peut-être, un scélérat ! Aussi bien est-ce ainsi non pas chez nous seulement, mais dans le monde entier et depuis qu’il est monde, dans les époques de transition, dans les époques où la vie humaine est bouleversée, dans les époques de doute et de négation, de scepticisme et de flottement des convictions sociales fondamentales. Mais chez nous c’est possible encore plus que n’importe où ailleurs, et spécialement de notre temps, et ce trait est le plus douloureux et le plus triste de notre temps présent. Qu’on puisse ne pas se considérer soi-même comme un scélérat, et même parfois ne pas l’être en effet, alors qu’on commet une scélératesse manifeste et indéniable - voilà notre malheur du présent !
Y a-t-il donc quelque chose qui protège spécialement la jeunesse, mieux que les autres âges, pour que vous, messieurs les défenseurs, dès l’instant où seulement elle s’occupe et s’instruit avec application, vous exigiez immédiatement d’elle une fermeté et une maturité de convictions que même ses pères n’ont pas eues, et qu’ils ont maintenant moins que jamais ? Nos jeunes gens des classes intellectuelles, grandis dans leurs familles où ce qu’on rencontre le plus souvent, c’est l’insatisfaction, l’impatience, la grossièreté de l’ignorance (malgré l’intellectualité du milieu), et où, en règle presque générale, la vraie culture a pour substitut l’insolente négation imitée de l’étranger ; où les impulsions matérielles l’emportent sur toute idée plus haute; où les enfants sont élevés sans qu’un sol soit sous leurs pieds, hors de la vérité naturelle, dans le dédain ou l’indifférence à l’égard de la patrie et dans ce mépris railleur du peuple qui s’est tellement répandu ces temps derniers… est-ce là, est-ce à cette source là que nos jeunes gens vont puiser la vérité et la faculté de diriger sans erreur leurs premiers pas dans la vie ? Voilà où est l’origine du mal : dans une tradition, dans une hérédité des idées, dans le séculaire et national étouffement en soi de toute indépendance de pensée, dans la conception que la dignité d’Européen est nécessairement conditionnée par le non-respect de soi-même en temps qu’homme russe ! 2/3
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