Francesc Serés

Voici une bien étrange anthologie de nouvelles qui, par le biais d'une sélection de vingt-et-un textes courts écrits par cinq auteurs méconnus, est censée survoler près d'un siècle de littérature russe... Sauf que l'ensemble est fictif, entièrement issu de l'imagination de l'écrivain catalan Francesc Serés ! Celui-ci a réussi un double tour de force : donner l'illusion que ces nouvelles sont l’œuvre de différents auteurs, et donner l'illusion qu'elles ont été écrites par des Russes. Dans le style, le ton employé, les thématiques abordées, etc, chacun de ces écrivains imaginaires se distingue de ses petits camarades ; Francesc Serés a su créer des univers littéraires bien particuliers qui, forcément, parleront plus ou moins au lecteur en fonction de ses attentes et de ses goûts.



Ainsi je suis globalement passé à côté des nouvelles signées "Ola Yevgenieva", présentant une Russie urbaine et moderne. Le portrait d'une URSS en fin de vie chez "Vera Margarita Abanserev" m'a davantage touché, notamment "La transparence du mal", mettant en scène un couple âgé décidant de passer outre les conséquences du désastre de Tchernobyl. Place à l'absurdité de la Guerre Froide, avec l'humour souvent grinçant de "Vitali Kropotkine" ; voilà un auteur que j'aurais voulu réel, afin de pouvoir lire autre chose de lui. "L'homme le plus seul au monde" où, suite à une panne de son vaisseau, un cosmonaute russe est condamné à tourner en orbite autour de la Terre jusqu'à ce que mort s'ensuive, est l'une des nouvelles les plus marquantes de cette anthologie. On continue de remonter le temps : "Aleksandr Volkov" fait revivre les débuts de l'ère soviétique, avec tout ce que cela implique d'espoirs déçus et d'amertume. "Yossif Barchenko" conclut cette anthologie par cinq textes courts, les plus proches du conte tel que nous l'entendons, pour la plupart dotés d'une chute percutante... Ce dernier est certainement l'auteur que j'ai préféré parmi les cinq créations de Francesc Serés, même si, dans un registre tout à fait différent, "Vitali Kropotkine" fut particulièrement réjouissant.



Après avoir connu le succès en Espagne, ces "Contes russes" semblent être passés plutôt inaperçus par chez nous, et c'est bien dommage. Une illustration supplémentaire, sans doute, du regrettable dédain des Français pour le genre de la nouvelle...

La structure est intéressante : c'est une anthologie de "contes russes" par cinq auteurs différents, environ quatre contes chacun, allant de la première moitié du 20e siècle à l'époque actuelle. Sauf que bien entendu tout a été écrit par Francesc Serés, mais pour chacun des cinq auteurs qu'il invente, il y a un ton et des thématiques qui font qu'on ne peut absolument pas les confondre avec les autres ! Ca se voit moins sur le style, mais c'est une traduction du catalan, donc je ne pourrais pas juger de toute façon. Ces nouvelles sont censées former un tableau de l'esprit russe et soviétique. J'ai trouvé ça plutôt réussi... un peu prétentieux peut-être ? Bien sûr, cela fait partie du jeu, mais quand l'auteur se présente comme éditeur et anthologiste, et chante les louanges des auteurs qu'il compile, cela fait vraiment s'envoyer des fleurs à lui-même.



En fait, le côté création d'auteurs est tellement réussi que je vais juger auteur par auteur. Ils sont "compilés" par ordre anti-chronologique.



* Olga Yevgenieva : Des petites scènes de la vie quotidienne, dans la Russie actuelle, post-soviétique. Sans direction et sans chute, et c'est probablement censé dire des choses profondes sur la nature humaine, mais je n'ai pas aimé du tout, et avec ça et l'introduction, je me demandais dans quoi je m'étais embarquée.



* Vera Margarita Abanserev : J'aime beaucoup, même si je ne saurais pas expliquer pourquoi. Une forme de compassion devant les horreurs quotidiennes, qui les fait atteindre à l'universel et presque au merveilleux.



* Vitali Kropotkine : Un auteur satiriste, humour noir sur les absurdités du régime soviétique, j'aime beaucoup.



* Aleksandr Volkov : Des nouvelles qui se passent dans les campagnes, fortement centrées sur les déceptions et les fatalités. Ecrit de façon trop noire pour moi, et donc pas ma partie préférée.



* Yossif Berchenko : Des contes de fées symbolistes, des contes fantastiques, ou tendant au mythe sans surnaturel du tout, souvent fortement déprimants. Marche très bien sur moi.



J'aime la Russie, mais je ne connais pas assez bien pour savoir si les vrais russes trouvent cela complètement caricatural par rapport à leur littérature ou pas. Personnellement, je suis contente de l'avoir lu.

L’ensemble du livre, avec les tons divers des cinq écrivains et leurs différents centres d’intérêt, est très plaisant et se lit à toute vitesse.
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