Le monde se mondialise. Le globe se globalise. Il n’est plus possible, au cœur de ces boucles où le réel enfle et nous renverse, « de faire (…) semblant de croire que la Terre n’est pas ce qu’elle est » – « quelque chose de fonctionnellement discontinu, hétérogène ».
Nous sommes arrivés au point le plus haut de la schématisation du monde, de la réduction de son étrangeté « à une carte géographique » qui, pour Franco Farinelli, « a fondé la conscience occidentale » : l’enjeu est maintenant de redescendre, et au plus vite, puisque rien de ce que nous avions fabriqué ne tient plus debout. Redescendre non vers un âge d’or, une authenticité perdue de notre rapport au monde, mais plus bas, plus en dessous de la surface familière du réel, vers le « corps caché, chtonien, souterrain, obscur, abyssal de la Terre même ». Et recommencer les noces de la Terre et du Ciel. A lire et relire, la terre, sa première carte, c'est la naissance de l'Occident.
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Un essai étincelant de simplicité et d'érudition. Le géographe italien Franco Farinelli nous emmène à la découverte de la naissance de la géographie et de la notion de Terre dans la culture occidentale. Un voyage rare et passionnant au coeur de l'histoire culturelle occidentale. Je n'avais jamais pensé cette proximité de la géographie et de l'histoire de l'art. C'est absolument éclairant et magnifique. La réduction de la sphère à une "tabula", à un plan, puis aux cartes, permet la colonisation de l'espace qui signifie occupation de parties du territoire mais aussi contrôle des modèles mentaux de représentation. La découverte de la perspective et dun téléscope ouvre à nouveau l'horizon avec la construction des sphères et de paysages "en fuite". Ce modèle, si complet, si totalisant, donne sa toute puissance à l'artifice et à la réification. La ligne droite, la perfection de la courbure immobile n'existent pas hors de nos représentations. Le rapport à la réalité s'échappe. Les cartes, les plans, les représentations sphériques nous laissent à la surface et évitent la profondeur vivante du globe. Une exploration/exploitation sans autres limites que des tracés modifiables sur des plans ou des cartes désanimées se poursuit dès lors frénétiquement. Cette époque semble révolue et d'autres récits, d'autres représentations sont appelées désormais. "La globalisation, quoiqu'on entende par là (...) signifie qu'avant tout on ne peut plus compter, dans le rapport avec la réalité, sur la puissance sans égale de la médiation géographique, qui, en réduisant la Terre à un plan, a permis jusqu'ici d'éviter de faire ses comptes avec la Terre telle qu'elle est vraiment - un globe. (...) Mais ces comptes, nous ne pouvons plus les renvoyer à plus tard, nous devons de toute urgence réinventer la Terre elle-même, à travers d'autres logiques, d'autres modèles..." Nous rencontrons au fil de ce voyage Anaximandre, Ulysse, Ptolémée, Salomé et St Jean Baptiste, Dante, Colomb, Raphaël, Hobbes, Brecht, Melville, Bateson, Morin...
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