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Citation de lanard


- Camarade! commençai-je. Tu parles de l'Angkar comme les moines parlent du Dhamma. Alors, je voudrais te demander cela: y aurait-il chez vous un idéologue qui construit une théorie révolutionnaire en s'inspirant des mythes et des règles de la religion bouddhique?
Douch était interloqué.
- Car, enfin, poursuivis-je, n'est-ce pas une nouvelle religion que tu défends? J'ai suivi vos séances d'éducation. Elles ressemblaient à des cours de discipline bouddhique: renoncer à nos attaches matérielles, aux liens familiaux qui nous fragilisent et nous empêchent de nous dévorer totalement à l'Angkar; quitter nos parents et nos enfants pour servir la Révolution. Se soumettre à la discipline et confesser nos fautes...
- Ça n'a rien à voir: trancha Douch.
- Il y a dix "commandements moraux" que vous appelez sila, insistai-je, du même nom que les dix "abstentions" (sila) bouddhiques. Le révolutionnaire doit se plier aux règles d'un vinyana, exactement comme le moine observe une "discipline" (vinyana) religieuse. Le jeune soldat touche au début de son instruction un fourniment comprenant six articles (pantalon, chemise, casquette, krama, sandales, sac), comme le jeune moine reçoit une ensemble réglementaire de sept pièces....
- C'est du délire d'intellectuel! arrêta-t-il.
- Ce n'est pas tout! Attends, camarade, dis-je en levant la main. Regarde les faits tels qu'ils sont! Dans tout ce que tu me dis, et que j'ai moi-même entendu, on retrouve des thèmes religieux qui viennent du passé: par exemple, l'attribution d'un nouveau nom, les souffrances qu'il faut endurer comme des macérations rituelles, jusqu'au son lénifiant et conjuratoire des formules de Radio-Pékin qui annoncent l'avènement d'un peuple régénéré, né de la Révolution. Bref, les responsables communistes à qui tu rends des comptes veulent soumettre la nation à une mort initiatique.
Mon grand laïus fut suivi d'un silence obstiné.
- Camarade Douch! repris-je en levant le ton, sans laisser le temps de reprendre la parole. La détermination des instructeurs qui parlent au nom de l'Angkar est inconditionnelle! Parfois même dépourvue de haine, purement objective, comme si l'aspect humain de la question n'entrait pas en ligne de compte, comme s'il s'agissait d'une vue de l'esprit... Ils accomplissent mécaniquement, jusqu'à l'extrême, les directives impersonnelles et absolues de l'Angkar. Quant aux paysans qui passent sous votre contrôle, ils sont purement et simplement soumis à une sorte de rite purificateur: nouvel "enseignement" (rien sutr), une nouvelle mythologie, vocabulaire remanié qu'au début personne ne comprend. Puis l'Angkar doit être adopté en tant que famille véritable, parallèlement au rejet des parents. Et puis c'est la population qui est divisée en "initiés" et "novices". Les premiers constituent le peuple véritable, c'est-à-dire la partie considérée comme acquise; les autres, ce sont ceux qui ne sont pas sortis de la période de préparation et d'apprentissage, au terme de laquelle seulement ils seront admis dans le camp des premiers et acquerront le statut supérieur de citoyen accompli. Dois-je continuer?
- Ca n'a rien à voir! répéta Douch. Le bouddhisme abrutit les paysans, alors que l'Angkar veut les glorifier et bâtir sur eux la prospérité du pays bien aimé! Tu attribues à des idéologues fantômes de savantes élucubrations qui n'appartiennent qu'à toi. Le bouddhisme est l'opium du peuple. Et je ne vois pas pourquoi nous irions puiser notre inspiration dans un passé capitaliste que, tout au contraire, nous voulons abolir! Lorsque nous aurons débarrassé notre pays de la vermine qui infecte les esprits, poursuivit-il, lorsque nous aurons l'aurons libéré de cette armée de lâches et de traîtres qui avilit le peuple, alors nous reconstruirons un Cambodge solidaire, uni par de véritables liens de fraternité et d'égalité. Il nous faut d'abord bâtir notre démocratie sur des bases saines qui n'ont rien à voir avec le bouddhisme. la pourriture s'est infiltrée partout, jusque dans les familles. Comment veux-tu faire confiance à ton frère, quand il accepte le salaire des impérialistes et utilise leur armes contre toi? Crois-moi, camarade Bizot, notre peuple a besoin de retrouver des valeurs morales qui correspondent à ses profondes aspirations. La Révolution ne souhaite rien d'autre pour lui qu'un bonheur simple: celui du paysan qui se nourrit du fruit de son travail, sans avoir besoin des produits occidentaux qui en ont fait un consommateur dépendant. Nous pouvons nous débrouiller seuls et nous organiser nous-mêmes pour apporter à notre pays bien-aimé un bonheur radieux.
- Consommateur? fis-je en écarquillant les yeux. Je ne me souviens pas que les pêcheurs de Kompong Khleang utilisaient beaucoup de produits importés... Je ne comprend pas de qui tu parles, si ce n'est peut-être de toi, camarade. Ta grand-mère te choyait-elle à ce point? susurrai-je sur un ton malicieux. En revanche, je sais que vous, vous êtres totalement dépendants! Vous êtes tombés dans un piège en embrassant la cause des Nord-Vietnamiens. Ils utilisent vos hommes pour avancer sur le front d'une guerre qui n'est pas la vôtre. Vous êtes armés par les soviétiques, vos discours sont fabriqués par Pékin, vos chants et votre musique - qu'accompagnent désormais le tambourin, le violon et l'accordéon - n'ont plus rien de khmer! Est-ce cela que tu appelles l'"intégrité nationale" et la "souveraineté" du peuple?
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