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Citation de KATE92


Mahé serra la main du dentiste sans oser dire un mot, car elle ne sentait plus ni sa joue ni ses lèvres. Au moins était-elle débarrassée de la douleur lancinante qui l'avait tenue éveillée une partie de la nuit. Elle se dépêcha de regagner son vieux break, garé non loin du cabinet, et démarra sur les chapeaux de roue. À bord flottait un vague relent de poisson qui ne la dérangeait pas. Cette odeur avait toujours imprégné les véhicules de la famille, et la première fois qu'elle avait fait la grimace, enfant, ses parents s'étaient esclaffés en lui expliquant que la pêche les faisait tous vivre.
Elle quitta la place du Martray et ses maisons à pans de bois, sortit de Lamballe et prit la direction du Val-André. La saison de la pêche à la coquille Saint-Jacques, autorisée d'octobre à avril, allait commencer. Cette période correspondait au départ des derniers touristes, et bientôt la côte appartiendrait de nouveau aux Bretons. La veille, Mahé avait passé toute la journée avec les marins de sa petite flotte, établissant le programme des bateaux. Elle possédait ses brevets de patron et de capitaine de pêche, mais le plus souvent elle restait à terre pour s'occuper de la gestion de l'entreprise. La passation de pouvoirs entre elle et son père s'était déroulée sans heurt, elle avait été bien acceptée parce qu'elle avait fait ses preuves en mer des années durant, et aussi parce qu'elle était la fille d'Erwan Landrieux. Quand celui-ci avait été victime d'un accident vasculaire cérébral, les marins avaient trouvé tout à fait normal que Mahé prenne le relais. Aucune voix ne s'était élevée pour la traiter de fille, il existait davantage de solidarité que de machisme dans ce milieu. Néanmoins, elle n'était pas naïve : elle savait bien que ceux qu'elle employait n'avaient pas les moyens de s'offrir un bateau et qu'ils comptaient tous sur leur salaire à la fin du mois. Mahé possédait les navires, les entretenait, payait les assurances, s'occupait de toute la partie administrative et appliquait strictement les réglementations en vigueur. Une sécurité pour les marins pêcheurs qui naviguaient ainsi l'esprit libre et ne se souciaient que des poissons. Bien sûr, Erwan s'était taillé une solide réputation, et sa fille en bénéficiait. Il avait su se diversifier au bon moment, ne se contentant pas des coquilliers pour la pêche côtière mais investissant dans deux hauturiers. Quand on ne pouvait plus pêcher la saint-jacques dans la baie venait le temps des soles, turbots, bars, lottes ou rougets à aller chercher en haute mer.
Avant que son père soit diminué par son accident, Mahé avait fait des saisons entières sur les bateaux Landrieux. Elle savait réparer une drague ou un chalut, tenir la barre face au vent, estimer le poids des prises rien qu'à les voir se tortiller sur le pont. De cette période, elle avait gardé une allure un peu garçon manqué mais, maintenant qu'elle n'accompagnait plus les marins, elle essayait de soigner son apparence. Elle avait laissé pousser ses cheveux bruns, une frange et un carré dégradé la rendaient plus féminine. Avec ses jeans, dont elle ne pouvait toujours pas se passer, elle avait pris l'habitude de porter des chemisiers blancs et des vestes de coupe irréprochable. L'hiver, ses boots avaient désormais des talons, et un discret maquillage soulignait ses grands yeux bleu-vert, de la couleur exacte de la Manche par beau temps. Pourtant, si elle avait cessé de proférer des jurons et de boire ses bières à la bouteille, elle conservait un caractère têtu et soupe au lait.
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