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Citation de Partemps


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Heidegger suggère ainsi que tout dialogue pensant avec la poésie d’un poète demeure pris dans ce « cercle herméneutique » où situation et éclaircissement se présupposent réciproquement l’une l’autre. Le terme de Zwiesprache auquel il a alors recours indique ici la situation d’une parole échangée entre deux partenaires, et Heidegger souligne que le vrai « dialogue » avec la poésie est celui des poètes entre eux, ce qui implique que dans ce cas la parole échangée est dans les deux sens poétique. Mais un autre dialogue est aussi possible et parfois même nécessaire, c’est le dialogue de la pensée et de la poésie, car toutes deux ont un rapport insigne à la parole. Heidegger retrouve ici une idée qu’il a déjà exposée maintes fois dès les années trente, et d’abord dans ses premiers « éclaircissements » de la poésie de Hölderlin : pensée et poésie ne se bornent pas à utiliser les mots, n’ont pas un rapport instrumental au langage, mais se déploient toutes deux dans l’élément même de la parole, ce qui implique qu’en elles le « sens » ne soit pas détachable de son support langagier. Ce rapport insigne à la langue, bien qu’il soit différent dans les deux cas et qu’il ne permette donc pas d’identifier poésie et pensée, mais plutôt de parler de leur « voisinage », c’est un rapport d’habitation, un être à demeure dans la parole qui caractérise le statut de ceux que Heidegger ne nomme pas les hommes, mais bien les mortels, ceux, dit-il dans une conférence datant de la même époque, qui sont « capables de la mort7 ». Mortel n’est donc pas le nom d’un être pourvu de déterminations négatives, comme c’est traditionnellement le cas, mais au contraire une appellation qui implique une « capacité » : la capacité de ne pas s’ériger en sujet de représentation, de ne pas se constituer en « point archimédique », pour reprendre une expression cartésienne, mais de se penser au contraire comme « au service » de l’apparaître, comme « employé » (gebraucht) par l’être, et comme son partenaire dans le dialogue entretenu avec lui. Le mortel est celui qui répond à l’appel de l’être et qui n’est donc pas en position première, ce qui implique que sa parole n’est pas son instrument docile, une technique qu’il se serait donnée à lui-même pour maîtriser les phénomènes, mais au contraire un don qu’il reçoit et de l’usage duquel il a à répondre. Le penseur et le poète font l’un et l’autre l’épreuve de cet « être » de la parole, et ici le mot Wesen a le sens que lui donne Heidegger depuis déjà les années quarante, à savoir le sens de l’ancien verbe haut allemand wesan, qui signifie « déployer son être », plutôt que celui traditionnel d’» essence », qui suppose la distinction, elle-même traditionnelle, de l’essence et de l’existence, et le khorismos, hérité du platonisme, séparant le sensible de l’intelligible.
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