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Citation de Charybde2


Le gardien du commissariat du 13e arrondissement de Paris, Gardon, pointilleux jusqu’à la maniaquerie, était à son poste à sept heures trente pile, la tête penchée vers le ventilateur de son bureau pour sécher ses cheveux, selon son habitude, ce qui lui permit d’apercevoir de loin le commissaire Adamsberg approcher à pas très lents, portant sur ses avant-bras un objet non identifié, les paumes tournées vers le ciel, avec autant de précautions que s’il tenait un vase de cristal. Gardon – nom tant approprié à sa fonction qu’il lui avait valu force blagues avant qu’on ne s’en lasse -, n’était pas réputé pour sa vivavité d’esprit mais accomplissait sa mission avec un zèle presque excessif. Mission qui consistait à repérer toute étrangeté en approche, si minime fût-elle, et à en protéger le commissariat. Et pour cette tâche, il excellait, tant par son coup d’œil exercé par des années de service que par la vitesse inattendue de ses réflexes. N’entrait pas qui voulait dans ce saint des saints qu’était la Brigade criminelle, et il fallait que la patte fût plus blanche que neige pour que ce cerbère des lieux – qui était tout sauf impressionnant – acceptât de lever la grille de protection qui fermait l’entrée. Mais nul n’aurait critiqué l’obsession soupçonneuse de Gardon qui avait plus d’une fois décelé les renflements à peine visibles d’armes enfouies sous des vêtements ou douté d’allures trop onctueuses pour lui paraître naturelles et stoppé net les velléités des agresseurs. Le plus souvent, il s’était agi de libérer un prisonnier en détention provisoire, mais parfois de crever la peau d’Adamsberg, ni plus ni moins, et ces alertes devenaient plus nombreuses. Deux tentatives en vingt-cinq mois. Au fil des années et des réussites du commissaire dans les enquêtes les plus tortueuses, sa réputation s’était affermie en même temps que les menaces contre sa vie.
Danger dont Adamsberg ne se souciait en rien, persistant de sorte à venir à pied depuis chez lui jusqu’à la Brigade, tant il était habité par sa nonchalance innée, semblant souvent toucher à de la négligence, voire de l’indifférence, particularité de sa nature qui, si blindés que fussent ses équipiers, les désorientait ou parfois les exaspérait, tout en laissant nombre de ses succès inexpliqués. Succès fréquemment obtenus via des méthodes opaques, si tant est qu’on puisse parler de « méthode » dans le cas d’Adamsberg, et par des chemins détournés où peu parvenaient à le suivre. Au long de ces ramifications inintelligibles de ses enquêtes, qui semblaient parfois tourner le dos à l’objectif, force était pourtant de l’accompagner sans toujours comprendre. Quand ses adjoints – et particulièrement le premier d’entre eux, le commandant Danglard – lui reprochaient cette brume dans laquelle il les laissait se débattre, il écartait les bras en un geste d’impuissance, car il n’était pas rare qu’il ne puisse s’expliquer sa propre démarche à lui-même. Adamsberg suivait son propre vent.
Gardon ouvrit sa fenêtre quand son chef ne fut plus qu’à quelques mètres du perron du vieux bâtiment et le vit se retourner pour adresser un bref salut à deux femmes qui marchaient à vingt pas de là, en apparence deux femmes d’affaires pressées, en réalité deux tireuses d’élite chargées de protéger le parcours du commissaire. Adamsberg sourit. Il savait qu’il devait cette récente mesure aux soins attentifs du commandant, de même que cette voiture qui veillait la nuit devant le jardinet qui encadrait sa maison.
– Gardon, dit-il sans entrer, tenant toujours ses bras tendus, j’aurai un peu de retard, j’ai à faire. Prévenez ceux qui me demanderont. Encore que cela m’épaterait, l’humeur n’est pas criminelle par ces temps, on tourne en rond autour de cambriolages d’amateurs.
– C’est le climat qui fait cela, commissaire, cette chaleur anormale en plein mois d’avril. Ça ne bousille pas que la planète, ça assèche le cerveau des assassins.
– Si vous voulez, Gardon.
– Qu’est-ce que vous transportez là ? demanda le garde en fixant une sorte de boule rouge sur les bras d’Adamsberg.
– Une victime, Gardon, et c’est mon boulot de m’en occuper.
– Mais vous allez loin comme cela ? Je vous signale que vous êtes torse nu, commissaire.
– J’en suis conscient, brigadier. J’ai dix minutes de marche à faire, tout au plus. Ne vous en faites pas.
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