AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de MegGomar


Et c’est ainsi, en parcourant ses livres et les papiers insérés entre
les pages de certains d’entre eux, que je tombai sur un volume dont le titre
retint immédiatement mon attention. Il s’agissait du court roman de Gabriel
García Márquez L’Incroyable et Triste Histoire de la candide Eréndira et de
sa grand-mère diabolique. C’était un samedi matin. Ma grand-mère était
partie avec mon frère au centre commercial, pas loin de la maison. J’ouvris
l’exemplaire et me mis à lire avec une voracité primitive. Depuis le départ
de ma mère, j’avais laissé de côté quantité de choses que j’aimais faire. Je
ne descendais même plus l’escalier de service pour me rafraîchir le corps et
les idées par temps chaud. Je lus peu au cours de ces mois et n’écrivis
absolument rien. Les livres n’éveillaient que suspicion chez ma grand-mère.
Elle savait que dans la bibliothèque de sa fille il y avait des exemplaires
bien peu édifiants, comme ceux qui expliquaient les nouvelles façons
d’aborder le sexe. Elle n’aimait pas me voir installée dans le bureau et
chaque fois qu’elle me trouvait en train de rôder autour de la bibliothèque,
elle se plaignait :
— Je ne vois pas pourquoi ta mère a laissé tous ces livres ici, à votre
portée. Elle aurait dû les cacher. Ce ne serait pas une mauvaise idée de les
vendre au poids.
Voilà ce qu’elle disait, elle qui accumulait les journaux de 1930 dans les
chambres de sa maison.
Je ne voulais pas que ma grand-mère vende nos livres à un bouquiniste,
et préférais donc feindre qu’ils ne m’intéressaient pas, même si cela
représentait un sacrifice. Cependant, le matin où je tombai sur ce roman, je
ne pus le lâcher et lus, lus autant que je pus pendant son absence, et
lorsqu’elle revint je continuai à lire dans les toilettes, en cachette, ou sous
les draps dès que la porte de ma chambre était fermée. Ces pages
racontaient l’histoire d’une fille, à peine plus âgée que moi, réduite en
esclavage par sa grand-mère proxénète et qui aurait donné n’importe quoi
pour se débarrasser d’elle. Eréndira essayait tout : tirer un coup de pistolet
dans la tête de la vieille, la tuer lentement avec de la mort-aux-rats, mais la
grand-mère résistait. En plus, le roman parlait d’amour, de politique et
d’érotisme. Bref, c’était exactement le genre de livre que ma grand-mère
craignait de voir entre nos mains et cette transgression le rendait
particulièrement attrayant. La découverte de ce roman fut semblable,
docteur, aussi exagéré que celui puisse vous paraître, à une rencontre avec
un ange gardien ou du moins avec un ami à qui se confier, chose tout aussi
improbable dans ma vie d’alors. Le livre me comprenait comme personne
au monde et en outre il se permettait de parler de choses qu’il est bien
difficile de se confesser à soi-même, comme l’envie irrépressible
d’assassiner un membre de sa famille.
Commenter  J’apprécie          30





Ont apprécié cette citation (3)voir plus




{* *}